MARC  LABOURET

5 - L'islam existe-t-il ?

Non. L'islam unique et indivisible est le fantasme des intégristes et des islamophobes.

 

minangkabau

Voici une photo, que j’ai prise en 1970, d’un mariage chez les Minangkabau de Sumatra. Le peuple Minangkabau rassemble environ neuf millions de personnes, soit plus que l’Autriche, la Suisse, Israël, l’Irlande, et bien d’autres. Ils sont bien insérés dans les milieux urbains et modernes, ce ne sont pas des sauvages ou seulement des cultivateurs de rizières. Mais ce qui distingue le peuple Minangkabau de tous les autres peuples du monde, c’est qu’il est LE SEUL à fonctionner de façon matriarcale et matrilinéaire. Les femmes sont propriétaires, elles choisissent les époux, elles transmettent le nom et la propriété. Et les Minangkabau sont musulmans. Depuis plusieurs siècles. Ils sont évidemment une poussière parmi le 1,6 milliard de Musulmans. Mais il n’y a pas de poussière comparable chez les Chrétiens, les Hindouistes, les Bouddhistes… Pour le moins, leur cas permet de mettre en évidence d’entrée de jeu que les clichés sur l’islam méritent d’être revisités.
Et c’est à ça que je vous invite ici.

Il ne s’agit pas de faire un cours sur les islams. Ce serait inévitablement, soit trop court et incomplet, soit trop long et ennuyeux. D’excellents sites vous renseigneront en détail, et je recommande simplement d’aller au « portail de l’islam » sur Wikipedia, qui renvoie à une somme d’informations considérable. J’ajoute en chapitre 6 ma bibliographie personnelle du temps où j’ai un peu étudié les islams, avant internet, et quelques livres et sites additionnels. Je ne peux offrir ici qu'un guide de recherche, honteusement superficiel, qui ne rendra pas compte de ce que les islams contiennent de sagesse, de force et de beauté. Ce sera aussi vrai des autres doctrines et pratiques évoquées pour comparaison, et dont je retiendrai ce qu'elles ont de moins sage et de plus laid.

Pour ne pas se perdre dans l’énorme masse d’information disponible, il vaut mieux savoir quoi chercher. Il n’est donc pas inutile de structurer les connaissances utiles à la connaissance des Musulmans. Comme l’intolérance résulte de l’ignorance, et de la peur de l’autre, cela suffira peut-être à argumenter en faveur de la tolérance.

On ne se refusera pas les arguments comparatifs : le rejet de l’islam, en général exclusif, ne rejette pas de la même façon le catholicisme ou le communisme. Ces deux doctrines, et leur histoire, sont assez bien connues chez nous, et riches de tous les péchés qu’on reproche à l’islam. Elles dispensent d’autant plus de comparaisons avec les religions orientales ou primitives qu’il s’agit bien de la question de l’acceptation des Musulmans parmi nous : peut-on tolérer la religion de nos voisins ? Eh bien, commençons par la connaître, avant de juger…

L’abandon des caricatures demande une approche diversifiée. D’autres refusent ce pluriel : soit, musulmans, ils considèrent que l’unicité de Dieu englobe le monde, création de Dieu, et donc tous les aspects de la vie humaine, notamment l’organisation politique de la cité, et par ailleurs souhaitent l’unité des musulmans au nom d’une orthodoxie. “ Le discours islamique des mouvements islamistes impose l’image puissante d’un Islam commun, éternel, qui serait le Modèle d’Action Historique idéale pour délivrer le monde du Modèle occidental, impérialiste et matérialiste ”, écrit M. Arkoun, qui explique que l’imaginaire occidental véhiculé souvent par les médias “ transpose, sans intervention critique ” cet imaginaire extrémiste, et donc aggrave le contentieux par un travail constant d’amplification des deux imaginaires. Cette vision unitaire est celle retenue par ceux qui, hostiles a priori à l’Islam, considèrent celui-ci comme monolithique dans son essence. Ceux-là, les islamophobes, lui prêtent une orthodoxie qui le rendrait irréformable et ne méritant que le mépris et le combat.

Connaître les étapes de la formation des islams

La vie du prophète Mahomet est le point de départ, et on ne peut juger des doctrines qui se réclament de lui qu’en les situant dans le contexte historique et géographique de leur élaboration. C’est ainsi qu’on pourra en reconnaître les aspects novateurs, voire progressistes, y compris dans la création d’un statut des femmes.

Ah ! Précision linguistique : quand je m’essaye à prononcer de l’arabe, je dis Muḥammad. Mais en français, depuis le XIIIe siècle au moins, on écrit et on dit Mahomet. C’est sous ce nom que le prophète est intégré à la culture française.

En examinant les étapes humaines de la mise en forme du Coran, on pourra en relativiser le contenu et le soumettre à une critique plus pertinente. Car même les Musulmans savent que ses versets ont été sélectionnés, puis que leur rédaction a fait l’objet de choix humains. Cette approche a permis historiquement à l’école mutazilite de soumettre le texte saint à une étude critique, et permettra aux Musulmans de demain de concilier leur écriture sainte avec les sciences humaines.

Les islamophobes et les islamistes sont d’accord pour juger cette critique irrecevable. Mais ici aussi, une comparaison avec l’histoire de l’Eglise catholique est utile. Qu’on se rappelle la crise moderniste qui a secoué l’Eglise de 1902 à 1907, soit au moment même de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. En 1907, par l’encyclique Pascendi Dominici gregis, le Vatican condamne toute analyse historico-critique de la Bible, réaffirme qu’elle est écrite par Dieu, et excommunie les quelques prêtres modernistes. Cinquante ans plus tard, Vatican II entérinera le virage, et en 1998, dans l’encyclique Fides et ratio, Jean-Paul II reconnaîtra que l’Eglise n’exige plus l’interprétation littérale de l’Ecriture. Tout n’est pas perdu ! Ce n’est pas une utopie. La mémoire conditionne l’espoir.

En lisant le Coran, vous en percevrez aussi bien le grand souffle prophétique initial que les contradictions ultérieures dans les sourates médinoises, où Mahomet justifie par l’inspiration divine ses décisions les plus humaines ou politiques. Pour comprendre cette évolution du mystique au politique, je conseille de le lire dans l’ordre chronologique de son apparition, non dans l’ordre factice choisi par Uthman, qui a classé les sourates par ordre de taille.

A côté du Coran, la Sunna regroupe dits et anecdotes de la vie de Mahomet, les hadiths. Elle est prise, elle aussi, par certaines écoles musulmanes, comme parole d’Evangile (hahaha). Mais les théologiens-juristes n’ignorent pas que seuls 5 % de ces hadiths sont authentiques, les autres ayant été inventés pour soutenir telle ou telle doctrine particulière. Certaines écoles musulmanes leur accordent peu de foi.

L’histoire du premier siècle qui suit la mort de Mahomet explique la dispersion des islams en doctrines différentes et ennemies entre elles. J’insère ici une carte de la répartition de ces écoles, mais je vous laisse chercher par vous-mêmes ce qui les différencie. Les Ibadites, par exemple, peu connus mais qui descendent de la première école juridique musulmane, et refusent toute violence sauf la légitime défense.

Madhhab Map3

J’attire votre attention sur une école qui ne figure pas sur la carte, et que j’ai déjà citée : le mutazilisme. Il fut un temps la doctrine officielle du califat de Bagdad. Il se caractérise par l’usage de la raison et de l’interprétation personnelle. Au pouvoir, les mutazilites ont été tyranniques et intolérants, ce qui a valu leur défaite et leur condamnation par les quatre autres écoles sunnites. Pourtant, il renaît aujourd’hui, notamment en France, et il constitue, je crois, le grand facteur d’espoir de l’évolution de l’islam de France.

Et l’étude du soufisme pourra vous surprendre, ésotérisme mystique en-dehors de tous les clichés sur l’islam. Les Druzes, les Baha’is, aux marges de l’islam, professent des syncrétismes originaux.

La connaissance de l'histoire des islams au Moyen-âge servira à combattre les préjugés selon lesquels l'islam est une doctrine passéiste, opposée à la science et au progrès technique et social. Le califat de Bagdad, mais aussi l'Andalousie, ont été des foyers de culture, de science, d'humanité, de tolérance. En des temps où c'est l'occident chrétien qui était barbare, les Musulmans, arabes, persans et berbères, ont étudié et transmis la philosophie grecque, posé les bases de la médecine, de l'astronomie, de l'algèbre, de l'alchimie. Bagdad a été la capitale intellectuelle du monde, et Tolède en a relayé les savoirs en direction de l'occident chrétien. Les croisades et les Mongols ont mis fin à cet âge d'or.

Connaître le contenu des islams

Bien sûr, la diversité doctrinale se ramifie autour de doctrines et de pratiques qui constituent le tronc commun des écoles les plus répandues. Il faut évidemment les connaître pour en mesurer la compatibilité avec la modernité, ainsi que la capacité d’intégration dans la société française. Ne vous contentez pas de mon résumé.

Articles de foi
Il y a six articles de foi. Beaucoup moins nombreux et beaucoup plus simples que dans les christianismes. L’existence de Dieu. Les anges. Les écritures (la Torah, les psaumes, les évangiles, et surtout le Coran qui surpasse les autres et dispense de les connaître). Les prophètes (Adam, Abraham, Moïse, Jésus, et surtout Mahomet, sceau des prophètes). Le dernier jour. La prédestination.
Il y a beaucoup à dire sur plusieurs de ces points, je vous laisse chercher les noms de Dieu et la doctrine qadarite sur la prédestination et le libre arbitre. In cha’allah ! Mais aucune de ces opinions n’est profondément différente des articles de foi comparables des Chrétiens, Catholiques, Protestants ou francs-maçons "réguliers" (à part les anges, absents des principes fondamentaux de la Grande Loge Unie d'Angleterre). 

Pratiques religieuses
Il y a cinq pratiques religieuses obligatoires : la profession de foi, les cinq prières quotidiennes, l’aumône légale, le jeûne du mois de ramadan, le pèlerinage à la Mecque.
Encore ces obligations sont-elles relativisées par la possibilité pratique de les accomplir. Le ramadan ne s’impose pas aux malades, aux voyageurs ni aux travailleurs. Le pèlerinage à la Mecque ne s’impose qu’à ceux qui en ont les moyens. Je m’interroge toujours sur la façon de pratiquer les prières et le ramadan au nord du cercle polaire. C’est évidemment une pensée insolemment impie.

Pratiques hygiéniques
Ensuite, ensuite… Eh bien, n’oubliez pas d’aller voir les pratiques surérogatoires, hygiéniques ou alimentaires. Et là-dedans, vous trouverez ce que des musulmans disent, conseillent ou ordonnent sur le voile (pas grand-chose), sur le porc (puissant interdit culturel du Moyen-Orient), sur le vin et les autres boissons alcoolisées (bien des accommodements en pratique), voire sur la façon de se laver les dents et de se torcher le cul (pour les plus intégristes des intégristes intégralement intégristes).
Classons ici le port de la barbe, qui n’a rien non plus de vraiment religieux : il ne relève que de l’imitation du prophète.

Statut des personnes
Ne négligeons pas les doctrines islamiques sunnites relatives aux statuts des femmes, des esclaves, des non-musulmans en pays musulman, selon qu’ils soient d’une religion du livre ou non. Mais il s’agit probablement du domaine le moins assuré, le moins généralisé, le plus délaissé de nos jours, même chez les sunnites. On l’a vu avec l’exemple minangkabau, et il y en a d’autres. Chez les chi’ites, rien de comparable, et même des pratiques sociales très égalitaires chez les Bektashis par exemple.
On peut se souvenir que l'esclavage a été aboli par l'Empire Ottoman en 1847, soit avant de l'être en France.

Morale sociale, et jihad
Les valeurs morales prônées par les théologiens-juristes musulmans sont en général bien proches des valeurs universelles ! Il y a même une belle leçon humaniste à retenir du hadith « Nul ne peut avoir la valeur de mille de ses semblables excepté l’homme », ou de celui qui enjoint au mari de ne pas faire l’amour sans faire jouir sa femme. On aimerait en entendre autant d’un pape…
Concernant le jihad, la lutte pour l’islam (armée ou non), je vous renvoie au chapitre 2 sur « islams et violence ».

Connaître la diversité des manières de vivre les islams

La géographie des islams permet d’abord d’effacer la fréquente confusion entre Musulman et Arabe. Les Arabes (et Berbères) ne forment que 18 % de la population musulmane mondiale ; et 10 % des Arabes sont chrétiens. En revanche, la moitié des Musulmans se situent à l’est de l’Iran (12,5 % indonésiens, 10 % pakistanais, 10 % indiens...). Le plus grand pays musulman est l’Indonésie. Les Persans, les Turcs, les Albanais, les Berbères, ne sont pas ethniquement Arabes. Cette appartenance supposée à l'islam n'est que statistique : elle ne dit rien des degrés de conviction ni de pratique. Il n'y a pas plus de 2 % de Musulmans pratiquants dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. L'athéisme est en progression partout, mais échappe à tout comptage.

Le monde musulman n’est pas, et ne sera jamais, une unité indivisible, ni doctrinalement, ni ethniquement. La carte ne montre pas non plus toutes les variantes locales, innombrables. En effet, les propagateurs des islams ont su, beaucoup mieux que les missionnaires chrétiens, respecter les coutumes locales. L’adaptabilité des islams a contribué à son expansion, mais aussi à sa diversification.

Hélas, ils ont laissé subsister dans les mondes indien et afghan une situation des femmes proche de l’esclavage. Les règles musulmanes du statut des femmes, qu’on peut évidemment juger inférieur à celui des hommes, y auraient apporté un important progrès. Mais n’étant pas appliquées, elles n’ont pas amendé l’odieux traitement des femmes hérité de l’hindouisme et de l’animisme. Idem pour le système des castes. Pire encore, sans doute, et bien loin des propos du prophète sur le plaisir féminin, les Musulmans de l’Afrique sahélienne, soudanaise, et de l’Afrique de l’est, n’ont pas combattu l’excision, d’origine animiste. Celle-ci-a été condamnée par l’université Al Azhar, une des plus hautes autorités religieuses musulmanes. Mais des salafistes, dans les pays concernés, lui trouvent des pseudo-arguments pour essayer de la rendre compatible avec le Coran. Ils montrent surtout leur propre dérive.

Et, parfois, à l’inverse, les islams ont accepté, acceptent, de coexister avec des coutumes plus égalitaires et plus démocratiques que leurs règles théoriques. Parmi les exceptions remarquables, outre les Minangkabau, je vous invite à vous pencher sur les pratiques des Mourides du Sénégal, des confréries turques (Alévis et Bektashis). Et naturellement, la plupart des Musulmans des pays européens en adoptent sans réserve la plupart des usages, ne pratiquent ni la polygamie, ni l’esclavage, apprécient la démocratie et la laïcité, les considèrent comme des progrès et n’envisagent pas d’y renoncer.

Rappelons aussi que des pays musulmans ont reconnu avant la France le droit de vote aux femmes : l’Albanie en 1920, la Turquie en 1930. Prenons des précautions avant de donner des leçons.

Les différents intégrismes

Après avoir admis que les islams sont variés, et pas tous des systèmes d’oppression et de superstition, reste à voir ce qu’ils ont de pire. Il n’y a pas plus lieu d’angéliser l’islam que de le diaboliser. Comme toutes les religions, l’islam se prête à des interprétations et déformations extrémistes, parfois dangereuses. Pour être minoritaires, ces tendances sont néanmoins beaucoup plus visibles, par leur propagande et par leurs actes, que l’énorme majorité modérée. Car enfin, si 1,6 milliard de Musulmans faisait la guerre à l'occident, ça se verrait autrement que par une poignée d'attentats, atroces mais circonscrits.

Le fondamentalisme, en lui-même, est sans enjeu politique : il consiste à croire que les livres saints sont véridiques en toute chose. La même opinion est très répandue chez les Protestants des Etats-Unis, où des Etats entiers professent le créationnisme. Elle était la doctrine de l'Eglise catholique jusqu'à Vatican II (1962-65). Si les opinions métaphysiques sont toutes respectables, on rencontre ici une opinion anti-scientifique, mensongère, qu’il faut condamner et combattre, aussi bien chez les Musulmans que chez les Chrétiens ou les Bouddhistes (dont la cosmogonie est aussi irrecevable). C’est l’application justifiée de la première limite à la tolérance, énoncée au premier chapitre (un cruel dilemme). Combat sur le seul terrain des idées, et en faveur de l’éducation scientifique.

L’intégrisme ne se cantonne pas au domaine des opinions, ou plutôt élargit ce domaine à tous les aspects de la vie, de la vie privée et de la vie en société. Pour les intégristes, la religion informe l’habillement, la sexualité, la  science, le politique… Ainsi, les intégristes catholiques sont souvent royalistes, et inversement. Il est impossible de savoir si, chez eux, les idées religieuses déterminent les idées politiques, ou l’inverse. Et chez les Musulmans aux idées extrêmes, quand les idées deviennent principe d’action politique, on passe de l’islam à l’islamisme : on croit que la religion musulmane édicte des règles d’action et d’organisation politique et sociale, hors desquelles la religion serait incomplète, voire tronquée. L’islamisme est donc une opinion politique, même si elle se prétend religieuse. La religion lui sert de justification, sincère probablement, mais le choix politique domine.

Y a-t-il chez les Musulmans plus de risque d’intégrisme que dans les autres religions ? On peut le croire au vu des passages de leurs écritures qui proposent des règles politiques, alimentaires, etc. Pourtant, toutes les religions à vocation universelle en proposent aussi. Surtout, toutes les religions ont imposé de ces règles, avec ou sans écritures. Le judaïsme, le bouddhisme et l’hindouisme font de leurs interdits alimentaires des règles beaucoup plus exigeantes que le manger hallal. Il n’y a pas de religion plus cléricale que le bouddhisme tibétain, dont les chefs religieux sont sensés être aussi les chefs politiques. Quant aux christianismes…

En outre, les prescriptions du Coran et de la Sunna ne constituent guère, dans ces matières, un corpus « juridique » complet ni cohérent. Même si les intégristes, par définition, sont ceux qui disent le contraire. Le Coran, sur 6200 versets, n’en contient guère plus de 200 qui peuvent être considérés comme « juridiques », concernant principalement la mise en place d'un droit des femmes. Sur le voile et le jihad, je renvoie aux chapitres qui leur sont consacrés. Sur le vin, le jeu, le prêt d’argent, le partage du butin, les textes sont succincts. Il n’y a pas de quoi en tirer vraiment des règles générales, sauf à utiliser les ficelles de l’analogie (qiya’s) et du consensus (ijmaa), que certaines écoles prisent plus que d’autres.

(Exemple de qiya's : les femmes ont-elles le droit de conduire une automobile ? Oui, car Fatima dirigeait son chameau.)

Aujourd’hui, en islam sunnite, l’école qui cumule ces excès jusqu’au fanatisme est le salafisme, né en Egypte à la fin du XIXe siècle et qui contamine tout le monde sunnite grâce à la propagande financée par le revenu pétrolier.

Comme toutes les doctrines neuves, il se prétend plus traditionnel que les autres. De fait, il présente comme modèle indépassable les pratiques de la communauté musulmane en vigueur à Médine au temps du prophète. Il est bien sûr fondamentaliste, et rejette toute la jurisprudence ultérieure. Il est proche du wahhabisme saoudien, en plus simple. Caricatural dans son expression doctrinale, iI n’est pas uniforme dans les expressions de son islamisme politique. On peut distinguer trois mouvances. La première ne s’occupe que de piété et d’éducation doctrinale, voulant améliorer les hommes et pensant que l’amélioration de la société en découlera. On qualifie ses adeptes de « quiétistes ». La seconde mouvance, politisée, est assez bien représentée par les Frères Musulmans : ils oeuvrent à la prise du pouvoir dans les pays musulmans, en privilégiant les moyens légaux et sans rechercher, en général, l’affrontement armé, ni la guerre avec le reste du monde. La troisième mouvance prône l’action armée et notamment le terrorisme, présenté comme une guerre sainte.

C'est cette tendance minoritaire, extrémiste et caricaturale qui fait parler d'elle et qui fait peur, c'est elle qui explique l'islamophobie. C'est celle que l'islamophobe croit connaître et diffuse au prétexte de la combattre. Le salafisme, étant caricatural, est aussi blasphématoire que les caricatures qu'il condamne. Il faut défendre le droit au blasphème. Il faut cependant être conscient que les deux discours violents en miroir se répondent, se légitiment et s'amplifient. Le caricaturiste comme l'islamophobe, sont des salafistes.

Les musulmans en France

En somme, en France comme dans le monde, l’islam n’existe pas, il n’en existe que des expressions plurielles. Je n’en ferai pas plus l’inventaire qu’à l’échelle planétaire. Ici aussi, je ne peux que vous renvoyer à la bibliographie. Je crois souhaitable tout de même d’évoquer trois points propres aux Musulmans français.

- Ce sont d’abord, évidemment, des islams issus de l’immigration, en lien idéologique et doctrinal avec les pays d’origine. Leurs problématiques sont au premier chef celles d’une population mal intégrée, discriminée, voire stigmatisée, plus touchée que la moyenne par la pauvreté et le chômage. Les discriminations à l'emploi et au logement, les délits de faciès, frappent même des citoyens français de deuxième ou troisième génération, qui portent la tare d'un nom nord-africain. Le renouveau de la pratique religieuse est à analyser dans ce contexte social particulier, qu’elle soit humble et cachée, qu’elle soit identitaire, qu’elle soit fière et revendicatrice, voire enfin révoltée.

- Dans ce contexte social, et dans des habitats de banlieues défavorisées, les conversions ne sont pas rares, et paraissent elles-mêmes reliées à des problématiques sociales d’insertion difficile, de frustration économique, de révolte générationnelle. Le sociologue Tobie Nathan fait le rapprochement avec les jeunes de la génération de mai 68, qui voulaient aussi une rupture radicale avec la pensée dominante. 

- Pourtant, il existe au sein des Musulmans français un courant riche d’espoirs. Je l’ai déjà évoqué. Il s’agit du mutazilisme. Cette doctrine ancienne se caractérise d’une part par le recours à la raison et à l’esprit critique pour interpréter les textes saints sans fondamentalisme aucun, et d’autre part par l’affirmation du libre-arbitre. La renaissance de ce mouvement, revendiquée d’abord par Mohammed Arkoun, montre qu’il existe en France les conditions d’apparition d’un islam ouvert à la modernité, à la rationalité et à la tolérance.

 

Cliquer ici pour accéder à la bibliographie et hyphographie.

 

Imprimer E-mail