MARC  LABOURET

Vitruve

et les justes proportions

(extrait du De architectura, livre III)

      "Or, la proportion naît du rapport de grandeur que les Grecs appellent analogia. Ce rapport est la convenance de mesure qui existe entre une certaine partie des membres d'un ouvrage et le tout ; c'est d'après cette partie qu'on règle les proportions. Car il n'est point d'édifice qui, sans proportion ni rapport, puisse être bien ordonné ; il doit avoir la plus grande analogie avec un corps humain bien formé.

       Or, voici les proportions que lui a données la nature : le visage, depuis le menton jusqu'au haut du front, à la racine des cheveux, est la dixième partie de la hauteur de l'homme ; la paume de la main, depuis l'articulation du poignet jusqu'au bout du doigt du milieu, a la même longueur : la tête, depuis le menton jusqu'au sommet, forme la huitième partie ; même mesure par derrière ; depuis le haut de la poitrine jusqu'à la racine des cheveux, il y a une sixième partie, et jusqu'au sommet de la tête une quatrième.

       La longueur du visage se divise en trois parties : la première s'étend depuis le bas du menton jusqu'au dessous du nez ; la seconde, depuis le dessous du nez jusqu'au haut des sourcils, et la troisième, depuis cette ligne jusqu'à la racine des cheveux, qui termine le front.

       Le pied a la sixième partie de la hauteur du corps ; le coude, la quatrième, de même que la poitrine. Les autres membres ont aussi leurs mesures et leurs proportions : c'est en les observant que les plus célèbres peintres et sculpteurs de l'antiquité ont acquis une réputation si grande et si durable.

       Il en est de même des parties d'un édifice sacré : toutes doivent avoir dans leur étendue particulière des proportions qui soient en harmonie avec la grandeur générale du temple. Le centre du corps est naturellement au nombril. Qu'un homme, en effet, soit couché sur le dos, les mains et les pieds étendus, si l'une des branches d'un compas est appuyée sur le nombril, l'autre, en décrivant une ligne circulaire, touchera les doigts des pieds et des mains. Et de même qu'un cercle peut être figuré avec le corps ainsi étendu, de même on peut y trouver un carré : car si on prend la mesure qui se trouve entre l'extrémité des pieds et le sommet de la tête, et qu'on la rapporte à celle des bras ouverts, on verra que la largeur répond à la hauteur, comme dans un carré fait à l'équerre.

       Si donc la nature a composé le corps de l'homme de manière que les membres répondent dans leurs proportions à sa configuration entière, ce n'est pas sans raison que les anciens ont voulu que leurs ouvrages, pour être accomplis, eussent cette régularité dans le rapport des parties avec le tout.

       Aussi, en établissant des règles pour tous leurs ouvrages, se sont-ils principalement attachés à perfectionner celles des temples des dieux, dont les beautés et les défauts restent ordinairement pour toujours. 

       Et même les divisions des mesures dont on est obligé de se servir dans tous les ouvrages, ils les ont empruntées aux membres du corps, tels que le doigt, le palme, le pied, la coudée, et ils les ont réduites à un nombre parfait que les Grecs appellent teleion ; or, ce nombre parfait établi par les anciens est dix. Les mains, en effet, ont donné les dix doigts, les doigts le palme, le palme le pied. La nature a voulu que les doigts des deux mains fussent au nombre de dix, et Platon a pensé que ce nombre était parfait, parce que de ces unités que les Grecs appellent monades, est formée la dizaine : de sorte que si on les porte à onze ou douze, comme elles seront allées au delà, le nombre parfait ne se retrouvera plus que lorsqu'on sera arrivé à l'autre dizaine, parce que les unités sont les parties de ce nombre.

       Les mathématiciens, ne partageant point cette opinion, ont dit que le nombre parfait était six  (...).  

       C'est encore d'après la longueur du pied de l'homme, qui est la sixième partie de toute sa hauteur, c'est d'après ce nombre de six fois la longueur du pied que contient la hauteur du corps, qu'ils ont jugé de la perfection de ce nombre. Ils ont aussi remarqué que la coudée se compose de six palmes et de vingt-quatre doigts. C'est d'après ce nombre que les villes de la Grèce semblent avoir voulu que la drachme fût partagée en six parties, comme la coudée avait été divisée en six palmes. Elles ont effectivement composé la drachme de six pièces d'airain qui, marquées comme les as, furent appelées oboles, et les quarts de ces oboles (...) y ont été mis pour représenter les vingt-quatre doigts. (...)"

     

ANNEXE "LES GRANDS INITIES"

      Léonard de Vinci s'est inspiré de ce texte 1500 ans plus tard. On sait moins qu'il existe une peinture murale du 1er siècle avant J.-C., déposée au musée de Naples, qui pourrait être de la main même de Vitruve. On croit reconnaître un de ses contemporains, irréductible gaulois par ailleurs. Celui-ci a pu rencontrer Vitruve lors d'un de ses célèbres voyages, et l'impressionner par ses qualités plastiques exceptionnelles. Si notre hypothèse s'avérait exacte, l'origine de l'homme de Vitruve (voire du nombre d'or) est à chercher chez nos ancêtres hexagonaux et tricolores les Gaulois, par Toutatis !

 obelix

 (Vu à l'exposition de l'été 2015 au MuséoParc d'Alesia)

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