MARC  LABOURET

LE TRIOMPHE

DE MATILA GHYKA

 175px Matila Ghyka

(A la manière de Jean-Louis Faure)

Ces deux objets exceptionnels ont une histoire ausssi riche que leur contenu. Ils m'ont été prêtés par le Musée du septennat de Château-Chinon, prétendument pour restauration, mais avec le secret espoir qu'ils ne reviennent jamais.

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Le premier représente le prince Matila Ghyka, parfaitement reconnaissable, en grande tenue d'ambasador (i.e. ambassadeur en moldo-valaque), définissant les canons de l'harmonie universelle du haut d'un mirador. On notera la pertinence des détails :

  • Sous le mirador d'or, un moteur électrique (hors d'usage) fait allusion à ses études à l'Ecole supérieure d'électricité de Paris.
  • phi1bLe mirador est construit par deux rectangles d'or (vertical et horizontal), qui en font donc le mirador parfait, mirador de l'âge d'or, prototype et modèle de tout mirador futur.
  • Les livres de Ghyka sont à une place où ils contribuent à l'équilibre de l'ensemble.
  • Le mirador est accosté d'un canon de siège Krupp (fabriqué à Essen), modèle 1916, et d'un canon à boire (en allemand drinken), qui sont les canons de la beauté poliorcétique et alimentaire.phi2b
  • Le vélocipède à pédales, inuti-lisable, dit vélo de minus, posé au pied du mirador, a été conçu selon les plans visionnaires de Léonard de Vinci : l'axe de la roue avant est percé dans l'homme de Vitruve selon le nombre d'or, aux fins de démontrer à Luca Pacioli que cela nuit au fonctionnement de la machine.phi2
  • Le veau d'or que caresse Ghyka symbolise la continuité de la civilisation occidentale depuis Pythagore jusqu'à nos jours. En passant par le Parthénon (dont on sait qu'il n'était qu'un grand coffre-fort), le culte du chiffre aboutit tout naturellement au culte du pognon.

  phi3   phi4Rien ne prouve que l'objet ait été donné personnellement par l'ambasador de Roumanie à Paul Valéry, qui était son ami et qui a préfacé l'un de ses livres. Les origines et la confection en demeurent obscures. Ce qui est en revanche attesté par les deux étiquettes, c'est que l'objet a été dans un premier temps offert par Paul Valéry, Président de l'Académie française, au Maréchal Pétain, lors de la réception de ce dernier sous la Coupole le 22 janvier 1931. A cette occasion, Valéry eut pour le défenseur de Verdun le mot fameux : « Vous avez découvert que le feu tue » (On reste sidéré par cet assaut de clairvoyance). Dans un deuxième temps, cinquante ans plus tard, les héritiers de Pétain l'ont remis à François Mitterrand, pour le remercier de sa fidélité à fleurir la tombe du Maréchal à l'île d'Yeu tous les 11 novembre.

 

phi5aLe second objet est une œuvre d'Arno Breker, sculpteur officiel du troisième Reich. On reconnaît son style néo-classique, illustrant le corps idéal (forcément nordique). Il propose ici une reconstitution de l'état originel de la Vénus de Milo, qui retrouve ses bras et sa polychromie d'origine. Force est de reconnaître que cette reconstitution acquiert la force de l'évidence.

De la main droite, elle baisse sa chemise de Konzentration-lager, sur laquelle on voit l'étoile de David jaune. De la main gauche, elle tient une toise, afin de prouver à ses tortionnaires qu'elle a le nombril aux proportions du nombre d'or, et donc qu'elle n'est pas juive, mais bel et bien hyperboréenne (ce que confirme son teint blafard).

On peut encore lire sur le socle une citation opportune. Elle émane d'Abel Bonnard, de l'Académie française lui aussi, poète délicat, esprit délicieux et cultivé : « Etre civilisé, c'est essentiellement avoir en soi plusieurs personnages, échapper à la simplicité pour parvenir à l'harmonie. »

phi6Cette statue unique a été offerte par Arno Breker lui-même à Abel Bonnard, Ministre de l'Education nationale du régime de Vichy, probablement lors de la visite de ce dernier en Allemagne en 1941 (en compagnie de quelques autres écrivains collaborateurs notoires). Elle est ensuite passée dans les mains d'André Bousquet, Secrétaire général de la police de Vichy et responsable de la déportation de nombreux Juifs. Celui-ci, ami personnel de François Mitterrand, l'a à son tour offerte au nouveau Président de la République en 1981.

 

L'insertion du second objet dans le cadre du premier est si naturelle qu'elle pourrait faire croire que le réalisateur du premier a eu la prescience de la création du second. En effet, le canon Krupp se pointe à merveille sur celle de la Vénus, de même que la Vénus de Milo fait écho contrepétant au vélo de minus, où l'homme de Vitruve montre à la ronde qu'il n'est pas circoncis.

 

A la manière de Jean-Louis Faure,
pour l'objet et pour le texte,
Marc Labouret, mars 2010.

 

P. S. : Je suis évidemment loin d'être à la hauteur de mon modèle. Jean-Louis Faure est un sculpteur dont l'inspiration surréaliste et l'insolence iconoclaste ne peuvent être égalées. Selon le joli mot de Régis Debray, il "triomphe du cauchemar par le calembour".  Plusieurs références internet ci-dessous permettront de le mieux connaître, et si quelques-uns de mes lecteurs  le découvrent et l'apprécient, mon petit jeu de déconstruction aura servi à quelque chose. Ayant pu apprécier sa gentillesse, au téléphone seulement hélas, je crois qu'il ne s'offusquera pas de cet hommage.

Comme lui, je me dois encore de préciser les matériaux utilisés : planche de bois stratifié, boules de tringles à rideaux, bois de balsa, pâte à sel, objets modèles réduits (vélo, livres, veau, lampe), verre ballon, pince à linge, pièces détachées d'ordinateur, tubes de médicaments, couvercle de pot à épices, vieux fil de fer barbelé, statuette souvenir pour touriste, morceau de dalle funéraire en gneiss, bras de poupée Barbie (comme Klaus, tout se tient).

 

HYPHOGRAPHIE

Sa vie insoumise, son oeuvre anarchiste.

Sur la bêtise de l'intelligence.

Jean-Louis Faure, sculpteur d'histoires.

Art de l'histoire , histoire d'artisanat et autres têtes-à-queues.

Bio-bibliographie de Jean-Louis Faure.

Et tellement d'images et de textes à méditer, à rire aux larmes pour ne pas pleurer tout court...