MARC  LABOURET

Le jugement dernier de Gigny

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Aux confins de l'Yonne et de la Côte-d'Or, la verrière flamboyante qui orne le bras nord du transept de l'église de Gigny est un remarquable exemple de l'art du vitrail de la Renaissance. Sa qualité a déjà été soulignée, et le contenu des quatre lancettes verticales trilobées a été bien décrit par M. Tobiet : il s'agit de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Malgré sa qualité, cette bande dessinée du XVIe siècle ne nous intéresse pas ici. Toutefois, il convient de ne pas négliger le contenu du réseau qui domine ce récit en images. En effet, il s'agit d'un jugement dernier, sujet d'une grande rareté dans la région, traité ici avec une vigueur et un réalisme saisissants. 

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Sans faire partie de l'art macabre proprement dit, le thème du jugement dernier lui est apparenté. C'est la conception chrétienne, catholique en particulier, du devenir des morts. Cette conception est mise à mal par les représentations macabres, mais permet aussi de les comprendre mieux. La présentation de ce vitrail exceptionnel est donc un utile complément à mon article sur l'art macabre dans l'Yonne.

Le haut de ce fenestrage, en réseau, est constitué de cinq quatre-feuilles (ou quadrilobes, ici lancéolés) disposés en quinconce, soit trois en bas et deux au-dessus, le tout surmonté d'un écoinçon sommital à trois rayons et entouré de huit lancéoles latérales (ou « mouchettes »). Son éloignement du sol le rend difficile à lire sans jumelles. C'est probablement pour cette raison qu'il a été injustement ignoré.

  2 ange gauche revu red   1 juge red   3 ange droit revu redLe Christ juge entre les anges sonnant de la trompette.

 Le contenu de ces quatorze « ajours » est le suivant :

  • Au sommet, le Christ juge, les bras levés, avec le phylactère : « Venite benedicte et ite maledicti igne », soit « Venez les bénis, et partez au feu les maudits ».
  • Les huit mouchettes latérales représentent autant d'anges aux ailes rouges.
  • Les deux quatre-feuilles du haut contiennent chacun un ange sonnant de la busine pour réveiller les morts. Chacun est accompagné d'un phylactère. Celui de gauche (à droite donc de Jésus-Christ) y dit, classiquement, « Surgite mortui et venite ad judicium », soit « Morts, levez-vous et venez au jugement ». Celui de droite dit : «Surgite mortui  (…?) modo adveniet et jud (…?) », ce qui mérite encore un travail d'analyse (une aide sera bienvenue).
  • Les trois quatre-feuilles bas montrent enfin les morts qui sortent de leurs tombeaux. Ils sont réalisés principalement dans ce beau jaune d'argent qui donne le ton à l'art du vitrail de l'époque. La scène de gauche montre un ange (l'Archange Saint Michel, probablement) et les élus, en attitudes de prière ou de confiance. La scène de droite montre un diable aux ailes de chauve-souris, dans les flammes, et les damnés, dans des attitudes d'horreur ou de honte. Enfin, au centre, des ressuscités, souriants, en attitude de prière, sont surmontés d'un personnage féminin couronné, curieusement montré de dos, les bras levés en attitude orante : on ne peut y voir que Notre-Dame, ici en situation d'intercession, demandant à son fils la miséricorde pour les humains.
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Les ressuscités sortent de leurs tombeaux :
"Vous ici ? Je vous croyais aux os !"

Le thème illustre classiquement ce dogme fondamental du christianisme, présent aussi dans le zoroastrisme et l'islam : le jugement dernier, le dernier jour où Dieu réveillera les morts pour leur attribuer leur éternel séjour, soit paradisiaque, soit infernal. Les corps des morts, reconstitués, sortent de leurs tombeaux. C'est bien la résurrection de la chair du credo catholique.

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En l'état actuel de nos recherches, nous considérons ce jugement dernier comme le plus beau du département de l'Yonne. Mettons à part celui de Joigny, malheureusement incomplet, mais que son caractère macabre rend exceptionnel dans tout l'art chrétien. La peinture murale de Pont-sur-Yonne, comme les sculptures du tympan de la cathédrale d'Auxerre, sont des vestiges très lacunaires. La rose du transept sud de la cathédrale de Sens présente de belles trouvailles, mais de regrettables manques. A Gigny, nous avons un ensemble complet, d'une ambition plus modeste mais d'une absolue perfection dans son classicisme idéal.

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Les anges dans les mouchettes.

(Merci à M. Michel Tobiet, pour son accueil chaleureux,
son remarquable travail de recherches, son dévouement à l'église de son village)

 

 

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