La chapelle des Ferrand

Ce petit monument de Joigny présente un exceptionnel jugement dernier macabre.

ORIGINES

       En 1080, des bénédictins de l’ordre clunisien fondèrent à Joigny le prieuré Notre-Dame. Il en subsiste l’entrée, belle ogive accolée à l’église Saint-André, le mur sud de cette église, quelques vestiges (un chapiteau roman primitif) dans la propriété privée qui occupe aujourd’hui le prieuré, les jolies colonnettes gothiques de l'auvent de l'église de Looze (deux aussi dans l'église Saint-Thibault). Comme il était d’usage à l’époque romane, le monastère avait été fondé en dehors de l’enceinte de la ville dominée par le château. Conformément aussi à la vocation des établissements clunisiens, le cimetière se développa près du monastère. En effet, selon les croyances du temps, le salut éternel dépendait moins des vertus pratiquées pendant la vie terrestre que de l’ensevelissement en terre consacrée et des prières des moines. Le cimetière s’étendait sur l’emplacement du palais de justice et de la rue Notre-Dame. Autour du cimetière et du prieuré, un faubourg s’est développé, le quartier Saint-André. Ce quartier d’ouvriers et de vignerons fut le seul de la ville qu’épargna le terrible incendie de 1530.
       Vers 1530 aussi, au milieu du cimetière, Jean Ferrand fit édifier une chapelle à usage funéraire pour sa famille. Jean Ferrand, né à Joigny vers 1489 et mort à Sens en 1559, était prieur de Notre-Dame de Joigny, mais aussi chanoine de Sens, archidiacre du Gâtinais, prébendé en la paroisse de Thorigny, prieur de Saint-Pierre de Courtenay, seigneur de La Jacqueminière, official, vicaire général du cardinal-archevêque de Sens, Louis  de Bourbon-Vendôme. Sa parenté est riche de notables locaux, petits seigneurs qui œuvrent aussi bien dans l’industrie et le commerce que dans la justice, la police et le clergé. On remarque aussi un célèbre peintre sur émail, Jacques Philippe Ferrand (1563-1632).
       Aujourd’hui, le cimetière a disparu, et la chapelle seule en porte témoignage, insérée dans les bâtiments du palais de justice construit au XIXe siècle. Elle est classée monument historique depuis 1927.

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L’OCTOGONE

       Sur le plan architectural, elle se présente comme un octogone parfait, orienté selon les points cardinaux. Rappelons que le plan centré caractérise de nombreux monuments funéraires de toute taille, ou martyria, de l’antiquité païenne à l’époque romane : la rotonde de Dijon, les quelques chapelles plus ou moins centrées, et parfois à huit côtés, qu’on rencontre à Metz, Laon, Montmorillon, Eunate… Le Saint-Sépulcre de Jérusalem et ses imitations de Londres ou Neuvy-Saint-Sépulchre, où la rotonde funéraire se greffe à l’occident d’une église basilicale, en sont des exemples bien connus. Cet usage disparaît aux temps gothiques. La Renaissance le retrouve à l’occasion, en Italie, en Espagne, en France. A cette époque, de nombreuses chapelles funéraires familiales sont ajoutées ou aménagées aux bas-côtés des églises, et elles adoptent parfois un plan centré. Ainsi en est-il par exemple de la chapelle latérale de l’église d’Assier (Lot), que fait construire à son usage funéraire Galiot de Genouillac, à la même époque que la chapelle des Ferrand. D’autres familles font édifier des chapelles sépulcrales dans les cimetières : on peut encore en voir à Ancy-le-Franc, à Mailly-le-château, à Saint-Fargeau. Mais une chapelle octogonale isolée comme le sépulcre de Joigny est une rareté architecturale.
       L’octogone est généralement considéré comme symbolisant la résurrection. Cette interprétation, déjà connue de l’antiquité romaine, a été reprise par Saint Ambroise de Milan au IVe siècle. En effet, il figure la transition entre le carré de la terre et le cercle du ciel. Cette symbolique des nombres et des figures géométriques se comprend de façon plus évidente dans les monuments où l’octogone s’intercale matériellement entre une base carrée et une coupole circulaire. Ce genre de structure architecturale symbolique se rencontre fréquemment, aussi bien en Chine ou en Islam qu’à Byzance. On le trouve moins souvent en occident. A Joigny, nous n’avons pas cet étagement vertical. Mais la symbolique de la forme octogonale s’accorde à la finalité du monument et à son décor sculpté.

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Au musée de Clamecy, ce grand tableau du milieu du XVIIIe siècle montre le clocheton de la chapelle des Ferrand,
entre le château et l'église Saint-André (détail à droite).

UNE DESCRIPTION DU XVIIIe SIECLE

       Pour pallier les lacunes dues aux outrages du temps et principalement aux destructions révolutionnaires, il existe une description de la chapelle dans un acte notarié daté de 1773. Il est cité par le comte de Tryon-Montalembert dans une notice sur Jacques Philippe Ferrand (le peintre-émailleur), publiée par le Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne en 1859, pages 185 et suivantes. Le notaire nous narre sa visite :
« Cejourd’hui, lundi vingt-neuf novembre mil sept cent soixante treize, avant et après-midi,
« Nous, André Hylaire Marchand, notaire au comté de Joigny, exerçant comme notaire royal soussigné, en présence et assisté… »
       Il est accompagné du curé de Saint-André, du prieur administrateur de l’hôpital, d’un employé aux écritures, d’un maçon et d’un graveur sur pierre. Ils viennent à la réquisition d’une demi-douzaine de membres de la famille Ferrand, également présents. Ensemble, ils se rendent
« (…) dans la chapelle Notre-Dame, construite et existante dans le cimetière de la paroisse Saint-André de cette ville, vulgairement appelée la chapelle des Ferrand, laquelle chapelle est bâtie en octogone, ayant huit piliers buttants en pierre de taille, avec diverses figures en relief qui l’entourent, laquelle chapelle a quatorze pieds de diamètre dans œuvre, environ vingt-cinq pieds hors d’œuvre, suivant le gros des pilliers buttants, sur vingt-cinq de hauteur, le dôme compris, et non compris un petit clocher étant au-dessus de ladite chapelle, qui porte en outre environ douze pieds ; dans lequel est une cloche.
« Avons vu et reconnu qu’à la façade extérieure, au midi, au-dessous de l’entablement de ladite chapelle, est vu un phoenix en relief, en pierre, sur un bûcher, soutenu par deux génies, que lesdits MM. Ferrand nous ont dit être les armes de leur famille.
« Etant entrés dans ladite chapelle, nous avons vu et reconnu que le retable de l’autel en relief de demi-bosse, représente la résurection de Lazare ; qu’au côté droit de cet autel est la figure en relief d’un chanoine en surplis, étant à genoux, ayant son aumusse sur le bras et un prie-Dieu devant lui et à côté d’icelui, l’écusson de ses armes, qui sont un phoenix d’or au champ d’azur ; que, au-dessus du dit autel, est une vierge en pierre en grand, aux deux côtés de laquelle, de droite et de gauche sont deux phoenix en relief et autres figures lugubres aussi en relief, en très-grand nombre, tout autour de ladite chapelle tant en dedans qu’au dehors, qui semblent annoncer que cette chapelle a été détruite (sic !) pour des sépultures.
« Au pied et en face de l’autel de ladite chapelle, est une grande tombe de pierre autour de laquelle sont gravés les mots suivants
En l’année – D quatre, honorable
homme – Etienne Ferrand n’a sur
à la mort – sy fort – cy dessous
son corps ne soit gisant,
Mangé des vers, enterré et mis en poudre.
Priez Dieu qu’il le veuille absoudre.
« (…) Sous la tombe sus-observée, est un caveau de huit à dix pieds de long sur six de large et six de haut, voûté en bons grès, dans lequel sont encore quatre cercueils. (…)»
       Ce texte, qui présente quelques difficultés d’interprétation, apporte d’abord une précieuse description intérieure. La date fragmentaire lue sur le tombeau a été comprise comme 1504 (vestige supposé de M D quatre), ce qui suppose une écriture des nombres incohérente et un tombeau antérieur à la chapelle. Cela reste à prouver. En ce qui concerne l’extérieur, une gravure ancienne (ci-dessous) montre que la toiture était une élégante couverture d’ardoises en dôme à double courbure. Pour trouver une représentation ancienne du clocher, on peut se référer à un grand tableau du XVIIIe siècle représentant la ville de Joigny, au musée de Clamecy. La gravure est évidemment postérieure, puisque la face sud de l’octogone, encore visible par Maître Marchand en 1773, y est déjà soudée à l’abside du bâtiment devenu la salle d’audience du Tribunal.

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       Notons que le bas-relief représentant la résurrection de Lazare pourrait être celui qui a été rapporté sous l'auvent de l'église de Vaux-sur-Yonne : même sujet, dimensions et époque correspondantes. Les recherches restent à effectuer pour valider ou invalider cette hypothèse.

HISTOIRE ULTERIEURE

       Le texte apporte ainsi une précision utile et permet de risquer quelques hypothèses. Plusieurs sources répètent, sans preuve ni argument, que le bâtiment transformé plus tard en salle d’audience du tribunal serait une ancienne chapelle des religieuses de la congrégation Notre-Dame, édifiée en 1630. Bien évidemment, si tel avait été le cas, la face sud du monument funéraire n’aurait plus été visible en 1773. Or, la date de l’acte notarié est confirmée par les archives généalogiques de l’Yonne qui permettent de vérifier que les différents cousins Ferrand présents à la visite du notaire vivaient bel et bien à la fin du XVIIIe siècle. Certes, Philippe Emmanuel de Gondi, duc de Retz et comte de Joigny, fit construire en 1630 un couvent à l’intention des religieuses qu’il faisait venir de Lorraine pour instruire les jeunes filles pauvres. Il s'agissait de chanoinesses de Saint-Augustin, ordre fondé deux ans plus tôt par Pierre Fourier. Novatrices en matière d'instruction, elles auraient inventé les classes de niveau utilisant le même manuel, et peut-être le tableau noir. La maison où logeaient les sœurs est identifiable dans l’actuelle école de la rue Jacques Ferrand, bel hôtel de pierres de taille. Ces religieuses et leurs élèves ne semblent pas avoir bénéficié alors de la construction d’une chapelle. Toutefois, vers la même époque, la chapelle des Ferrand est intérieurement ornée d’une peinture murale, preuve de l’intérêt qui lui est porté. Hasardons une première hypothèse : que le généreux comte en ait été le commanditaire, pour permettre aux religieuses de Notre-Dame de se réunir dans la chapelle Notre-Dame ainsi rénovée. Par ailleurs, le texte de 1773 reste étrangement muet sur les raisons qui firent qu’une demi-douzaine de cousins Ferrand, dont certains avaient au loin des fonctions militaires ou religieuses, se réunirent à la chapelle de leurs ancêtres et en firent dresser une description notariée. On ne peut s’empêcher de penser, seconde hypothèse, qu’ils ont souhaité préserver alors leurs droits, matériels ou moraux, sur ce petit monument. Pour quel motif ? Peut-être précisément le projet de construction adossée d’une église, appelée à dissimuler l’emblème armorié (le phénix) de leur sépulcre familial. Aussi hasardeuse que soit la conjecture, elle expliquerait la visite du notaire. Il serait aussi plausible que la chapelle soit alors menacée purement et simplement de destruction, puisqu’on se dirige alors vers la désaffectation du cimetière qui l’entoure, désaffectation effective en 1783. C’est bien l’époque où des considérations d’hygiène amènent, dans toute la France, à transférer les cimetières du centre des villes vers les faubourgs.

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Une carte postale imaginative...

       En tout état de cause, c'est bien dans les années qui précèdent la Révolution qu'on édifie le bâtiment contigu au mur sud de l'octogone. Outre le témoignage de Me Marchand, plusieurs documents des années 1819-1821 insistent sur le fait que le bâtiment qui va être affecté alors au Tribunal est neuf. Par ailleurs, on le dit alors destiné à être l'église des religieuses. Il n'a donc jamais servi à cette fin. Quand les religieuses l'ont-elles fait édifier ? Il est probable que ce n'ait pas été possible avant la désaffectation du cimetière, en 1783. D'ailleurs, on trouve encore des fragments d'ossements quand des travaux amènent à creuser sous ce bâtiment ou sous le parking voisin. 

       C'est certainement aussi avant le transfert du cimetière qu'ont été gravés les quelques graffiti des piliers est : il s'agit surtout de croix formées de suites de points. Témoignage naïf mais émouvant de la piété populaire.

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       Ensuite, selon le Bulletin déjà cité, dans sa livraison de 1882 (p. 256 ) : « Ce monument si élégant et si gracieux a été, dans les premières années de la Révolution, outrageusement dégradé et mutilé, et ses sculptures intérieures et extérieures, ses vitraux peints, ses figures, ses emblêmes, ses écussons et toutes ses œuvres d’art, d’un goût et d’une exécution si exquis, indignement brisés. On a pu du moins sauver le squelette de l’édifice, en l’encadrant dans le palais de justice que l’on a construit en 1817. »
       Mis à part l’ironie involontaire que soit sauvé le squelette d’un monument funéraire, ce passage mentionne utilement un autre élément de l’édifice originel : ses vitraux. Il propose en outre une date tardive (trop) de construction de la salle d’audience. Enfin, il attribue tout le vandalisme aux révolutionnaires, ce qui sous-estime les destructions dues à l'administration de la justice.

 

DESCRIPTION ACTUELLE

       Aujourd’hui, le sépulcre apparaît très altéré par les ans, les destructions révolutionnaires mais aussi les restaurations et modifications du XIXe siècle. Deux des murs (sud-est et nord-est) sont percés de fenêtres, quatre sont percés de portes (nord, sud, sud-ouest, ouest), dont une seule est certainement d’origine (ouest). Le mur est est affublé d’une cheminée intérieure et muré à l’extérieur (mais la curieuse découpe des pierres est peut-être un souvenir des sculptures qui surplombaient l’autel). Un septième pan (nord-ouest), muré lui aussi, est recouvert d’une couche de ciment gris uniforme. Seul le mur ouest, qui fait face à la cour intérieure, a conservé, au-dessus de sa porte intégrée aux bâtiments ultérieurs, une décoration Renaissance, consistant en un pinacle central (en fait le dais d’une niche, surmonté d’un tempietto) entouré de deux petits personnages non identifiables (peut-être un squelette à gauche ?) tenant une banderole avec traces d’inscription - illisible aujourd’hui. Cette imposte sculptée est revêtue d’une couleur rouge qui porte peut-être témoignage d’une ancienne polychromie, mais la maçonnerie afflige les blocs sculptés d’un malheureux jointoiement de ciment blanchâtre. Le dôme originel a été remplacé par un triste toit à faible pente.

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Vues du côté cour. On voit que les couches de peinture, grise puis rouge, sont uniformes et non pas plychromes.

       Les altérations, commises pour rattacher la chapelle au palais de justice, ont heureusement épargné une bonne part du décor extérieur sculpté d’origine. Celui-ci consiste en ornements d’angle typiques de la première Renaissance (pilastres et niches ornementées), et surtout d’une frise en bas-relief courant sous la corniche du toit. Celle-ci, de la plus grande originalité, sera étudiée plus loin de façon détaillée.

       L’intérieur, quelque défiguré qu’il soit, présente deux points d’intérêt.

   - Son décor architectural nous semble représentatif du néo-gothique en faveur au milieu du XIXe siècle : de fines colonnettes d’angle se terminent à 4,30 m du sol par des chapiteaux à feuillages, d’où s’épanouit un jeu complexe de liernes en étoile à huit branches, avec des clefs pendantes, formant une coupole qui culmine à 5,45 m. Les abaques des chapiteaux sont ornées des attributs symboliques de la justice : balance, glaive, main de justice, etc. On ne peut exclure qu’il s’agisse moins d’une création que d’une modification du décor d’origine, resculpté et badigeonné. Peut-être faut-il comprendre en ce sens l’état des travaux du sieur Champeaux pour 1824-1825, qui cite « les ragréments et restaurations des voûtes d’arrêtes ainsi que les colonnes socles et chapiteaux des dites colonnes… » Auparavant, la gravure déjà citée semble plutôt montrer, à travers les ouvertures, des faisceaux de colonnettes. En somme, ce décor intérieur doit peut-être sa structure à un état antérieur, mais dans son état actuel il est bien à dater du XIXe siècle.

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Chapiteaux de 1820 avec des attributs de la justice.

   - D’autre part, une peinture murale du XVIIe siècle, représentant l’adoration des mages, très restaurée mais néanmoins encore spectaculaire ; cette peinture reprend textuellement le schéma d'une composition de Jean Boucher, peintre actif à Bourges au début du XVIIe siècle : une grande toile exposée dans la cathédrale de cette ville. Plusieurs motifs sont directement copiés de cette œuvre, datée de 1622, qui pouvait être connue par la gravure : l’attitude des rois, le groupe de la Sainte Famille. En revanche, les costumes des mages sont inversés, les gestes des personnages un peu différents, des auréoles ont été ajoutées, un ange a disparu. La peinture murale de Joigny serait donc contemporaine de l’établissement d’une maison de religieuses dans le voisinage immédiat, et, comme on l’a vu, ce n’est peut-être pas une coïncidence. Cette peinture a été redécouverte en 1934 sous l’enduit, lors de travaux d’aménagement. On peut probablement dater de ces années 1930 le décor des autres murs en fausse maçonnerie. Auparavant, comme l’indique en 1860 Victor Petit, les parois étaient peintes en faux marbre – il en reste des traces sur les plinthes.

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LE DECOR SCULPTE EXTERIEUR

       La sculpture de la chapelle est parfois attribuée à Jean Chéreau (père ?). Un Jean Chéreau (fils ?) a réalisé sans aucun doute, puisqu’il l’a signée, la belle voûte de l’église Saint Jean. Cette église est plus tardive : la voûte en est datée de 1596. Soixante à soixante-dix ans plus tard : c’est trop pour qu’il s’agisse du même, c’est même encore beaucoup pour qu’il s’agisse du père et du fils. Cet écart rend peu vraisemblable l’attribution, sans l’interdire absolument. Nous manquons d’éléments de preuve. En outre, le style très reconnaissable de Jean Chéreau ne se retrouve pas dans la chapelle des Ferrand. Quel qu’il soit, le réalisateur de ce petit édifice de la première Renaissance y a fait montre d’invention et de maîtrise, tant en architecture qu’en sculpture. Il est difficile de croire qu’il s’agisse d’une œuvre de jeunesse.
       Les piliers d’angles extérieurs de l’édifice sont soulignés de pilastres plats superposés. Les pilastres supérieurs portent des niches élégantes, dont le dais est surmonté d’un tempietto. Ce vocabulaire réunit ainsi des décors Renaissance italianisants (coquilles, chapiteaux, tempietti) à une structure encore gothique. Au-dessus des chapiteaux supérieurs de ces pilastres, l’entablement de l’édifice est constitué d’une frise entre deux corniches étroites et simples. La frise est constituée sur les côtés du mausolée par des panneaux figuratifs, qui mesurent chacun, à peu de chose près, 2 m de longueur, sur une hauteur approximative de 55 cm. Entre ces panneaux, le même niveau de l’entablement est décoré au-dessus des pilastres d’angle par des panneaux rectangulaires plus petits, de 55 cm environ de haut sur 30 de large. Ceux-ci sont ornés de symboles funèbres : crânes de trois-quarts ou de profil, ossements en sautoir, urnes, chandeliers… Tous ne sont pas reconnaissables.

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Des fleurs dans les orbites ou dans les oreilles...

LA FRISE MACABRE

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       Au sud-est, deux diables ricanant encadrent et soutiennent un phylactère. Celui de gauche est ailé et brandit un instrument recourbé non identifié (faux ?). Le phylactère, orné de rubans flottant au vent, est en forme d’inscription à l’antique (panneau à tenons), et porte les mots SACITTE : EIVS : ACVTE : ESA : 5°. En les lisant Sagittae eius acutae, nous les trouvons bel et bien conformes à la référence biblique, en Isaïe, chap. V, verset 28 : « Sagittae eius acutae et omnes arcus eius extenti ungulae equorum eius ut silex et rotae eius quasi impetus tempestatis » selon la Vulgate de Saint Jérôme, traduits dans la traduction œcuménique de la Bible par : «SSes flèches sont aiguisées, tous ses arcs sont tendus. On prendrait pour de la pierre les sabots de ses chevaux, pour un tourbillon les roues de ses chars. » Cette évocation par Isaïe de l’armée assyrienne est une évidente métaphore des ravages de la mort. L’extrait choisi pour le bas-relief pourrait illustrer à la perfection une représentation courante de la mort allégorique aux XVe et XVIe siècle, lançant ses dards sur les humains. Sur ce panneau, cependant, ni la Mort, ni les morts ne sont figurés.

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       A l’est, un phylactère du même genre est encadré et tenu par deux morts sortant de leurs tombeaux. Celui de gauche est squelettique, avec des morceaux de chair ici ou là. Celui de droite a conservé (ou recouvré) sa chair, ses yeux et son système pileux. Tous deux sont drapés de suaires élégamment disposés sur le bras levé et entourant leur taille. Nous lisons ainsi la citation du panonceau : RESVSCITABO : MORTVOS :ESD.5D2°, en interprétant les derniers signes où le 2 est inséré dans le D, qui peut signifier divisio. La référence se traduirait alors : 5e livre d’Esdras, chapitre 2e. Quoi qu’il en soit, la référence est exacte. Le cinquième livre d’Esdras ne fait pas partie de la Bible canonique. Ce livre apocryphe est une fausse prophétie attribuée à Esdras mais rédigée par des chrétiens autour de l’an 200 de notre ère, et a connu un succès certain puisque des passages en ont même été inclus dans la liturgie. Il ne fait guère de doute que ce livre largement diffusé dans les milieux ecclésiastiques fût connu de l’archidiacre de Sens. On y trouve donc : « Je ressusciterai les morts de leurs tombes, je les ferai sortir de leurs tombeaux parce que j’ai reconnu mon nom en eux » (5e livre d’Esdras, chapitre 2, verset 16). L’extrait évoque donc sans ambiguïté la résurrection des morts au dernier jour.

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       Passons au nord-est. La scène est, si l’on ose dire, plus vivante ! Les deux personnages sont debout. Celui de gauche, charnu, porte un seau, celui de droite, plus squelettique, tient une pelle. A la fois morts et fossoyeurs, ils encadrent un sarcophage, légèrement oblique, qui laisse apparaître un squelette encore allongé. C’est sur le devant du sarcophage qu’on lit l’inscription OIS : CARO :FENV / ESA : 40°. Au-dessus du I et du V, un signe horizontal signale une abréviation. Il convient donc de lire « Omnis caro fenum », ce qui correspond à la référence explicite du chapitre 40 d’Isaïe. On y trouve en effet au verset 16 : « Vox dicentis clama et dixi quid clamabo omnis caro faenum et omnis gloria eius quasi flos agri », soit, selon la T.O.B., « Une voix dit : - Proclame ! L’autre dit : - Que proclamerai-je ? – Tous les êtres de chair sont de l’herbe et toute leur constance est comme la fleur des champs.» Le texte latin est probablement moins fidèle à l’original hébreu que la traduction française des érudits contemporains, mais ses significations sont un peu différentes. Et bien évidemment c’est le texte latin qui était connu au XVIe siècle. Il n’est pas neutre de proclamer ici que la gloire (« gloria »), plutôt que la « constance », est passagère. Dans faenum, source étymologique du français « foin », il faut bien comprendre « herbe coupée, ou à couper ». Omnis caro faenum renvoie à l’image de la faux couramment portée par l’allégorie de la Mort. Plusieurs passages bibliques (Job, Psaumes) utilisent la même image. On la retrouve aussi dans l’office des morts, qui était alors quotidiennement célébré dans les monastères ; cette obligation instaurée par Innocent III (pape de 1161 à 1216) ne sera supprimée qu’au concile de Trente (qui commence en 1545). C’est dire que les paroles en sont imprimées dans tous les esprits religieux à l’époque de Jean Ferrand : « L’homme né de la femme n’a que peu de temps à vivre. Il croît, puis est fauché comme une fleur… » Purcell composera sur ces versets une célèbre et émouvante polyphonie, pour les funérailles de la reine Marie, en 1695.

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       Au nord, la scène montre aussi deux ressuscités dont l’un est encore à l’état de squelette, celui de gauche. Assis à califourchon sur une pierre, il brandit de la main droite un instrument non identifiable. Le personnage de droite est plus charnu, bien qu’on lui voie les côtes. Il brandit des instruments dans les deux mains, dont, semble-t-il, une corne dans sa main gauche (un shofar peut-être, cette corne de bélier si présente dans les épisodes bibliques et lors des fêtes juives). Entre eux, c’est une croix qui porte l’inscription « APERIAM : TVMVLOS : VROS / EZ.37. Le signe d’une abréviation surmonte VROS. Il est aisé de lire « Aperiam tumulos vestros », et d’attribuer la citation à Ezéchiel, chap. 37, verset 12 : « Propterea vaticinare et dices ad eos haec dicit Dominus Deus ecce ego aperiam tumulos vestros et educam vos de sepulchris vestris populus meus et inducam vos in terram Israhel. » La T.O.B. donne la traduction suivante : « C’est pourquoi, prononce un oracle et dis-leur : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux ; je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur le sol d’Israël. » C’est un extrait du célèbre texte qui décrit comment les ossements se relèvent et se recouvrent peu à peu de chair et de peau pour ressusciter.

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       Au nord-ouest, le phylactère est en forme de rouleau, tenu ouvert à ses deux extrémités par les ressuscités. Ceux-ci ne sont pas décharnés. Celui de gauche a même sa chevelure bouclée et ses yeux regardent vers la gauche ; celui de droite, quoique charnu, a une tête de mort. Précisons qu’il porte une lance, ce qui aurait mieux correspondu à la citation du sud-est. Enfin, le phylactère surmonte un squelette allongé. Malheureusement, aucune inscription ne complète cette scène : le phylactère est uni.
       A l’ouest, au-dessus de l’imposte sculptée qui surmonte la porte de la chapelle, la frise s’interrompt. A son niveau, le panneau de pierre lisse ne montre aucune trace de sculpture ni d’inscription. Cependant, la gravure ancienne déjà citée y montre encore, au début du XIXe siècle, un panneau en bas-relief du même genre que les autres : deux personnages latéraux tenant un panneau central. Comme on y reconnaît les attitudes des personnages des panneaux voisins, il n’y a aucune raison de douter de la vérité de cette représentation, malheureusement peu précise.

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       Au sud-ouest enfin, le panneau montre deux anges ailés jouant de la trompette de part et d’autre d’un sarcophage où le ressuscité, assis, a les mains jointes. Ici comme au panneau nord-est, c’est sur le tombeau, légèrement incliné, qu’on lit l’inscription : SVRGITE : AD : IVDICIVM, soit « Levez-vous au jugement ». Il ne s’agit pas ici d’une citation biblique. C’est le résumé d’une phrase attribuée à Saint Jérômee: Surgite mortui venite ad judicium, soit : « Debout les morts ! Venez au jugement ». Elle figure dans quelques jugements derniers du bas Moyen-âge, comme sur les peintures murales de la Brigue (Alpes-maritimes), Cazeaux-de-Larboust (Haute-Garonne), ou celle de Birac (Gironde) où elle sort en phylactère d’une des trompettes des anges. Elle figure aussi sur un projet de tombeau attribué à Jacques Androuet du Cerceau (1515-1585), un des grands architectes de la Renaissance française. Ce dessin est reproduit par un maître brugeois de la fin du XVIe siècle, qui le présente comme modèle de tombeau d’un prélat, et qui précise qu’il doit être surmonté d’un jugement dernier. Cet exemple montre combien le mausolée de Jean Ferrand est conforme aux canons du temps.
       Vraiment, on ne peut qu’admirer la qualité artistique de ces panneaux historiés, malgré l’usure du temps : bas-relief vigoureux, attitudes variées et naturelles, justesse des proportions, délicatesse de l’exécution.

UN JUGEMENT DERNIER

       L’interprétation d’ensemble est claire : il s’agit d’un jugement dernier. La représentation des morts sortant de leurs tombeaux et la combinaison de phrases, bibliques ou non, ne laissent aucun doute. Plusieurs citations affirment avec force la résurrection : « Resuscitabo mortuos », ainsi que « Aperiam tumulos vestros », et surtout ce « Surgite ad judicium » qui accompagne si bien les trompettes. Enfin, la présence d’anges et de démons permet aussi de rattacher l’ensemble à la tradition des jugements derniers.
        D’où vient cette tradition iconographique ? Les premières représentations du jugement dernier n’étaient pas chrétiennes : elles sont apparues, selon des témoignages anciens, dans la propagande de Manès et de ses premiers disciples, au IIIe siècle. De fait, ce thème est tellement manichéen qu’il pourrait en résumer la doctrine : le monde est le lieu d’un combat des forces du bien et des forces du mal qui ne se résout qu’à la fin des temps. Il apparaît dans l’iconographie chrétienne, selon André Grabar, dans la propagande « audio-visuelle » de la mission de conversion menée par Saint Augustin en Angleterre. Il s’agit de Saint Augustin de Cantorbéry (mort en 604), moine italien envoyé par le pape Grégoire le Grand, et non pas du père de l’Eglise Augustin d’Hippone (354-430). Le succès de la représentation ne se dément pas jusqu’à la Renaissance dans le catholicisme (et jusqu’à nos jours dans l’orthodoxie). En effet, les jugements derniers sont nombreux aux portails romans et gothiques, sur les retables, sur les murs des églises. Ils montrent les ressuscités soulevant leurs pierres tombales pour se relever vivants, et vivants être envoyés vers le paradis ou l’enfer. Presque toujours, on n’y voit pas de morts, mais bel et bien des vivants, ressuscités. C’est conforme à la doctrine catholique de la résurrection de la chair, et à la conviction que le Christ a vaincu la mort. Ce ne sont donc pas des représentations d’art macabre, mais bien tout le contraire !
      Dans l’art orthodoxe, des squelettes ou des morts morcelés y apparaissent parfois, mais d’une façon particulière. Dans les jugements derniers d’Europe orientale, un fleuve de feu prend naissance sous le trône du Christ justicier, et entraîne les damnés, en une grande diagonale rouge qui s’élargit vers l’enfer, en bas et à droite du spectateur. C’est dans ce fleuve de feu qu’on peut trouver la représentation d’animaux féroces recrachant des bouts de corps humains. En effet, il faut bien que la résurrection rassemble ce qui était épars, et que les morceaux séparés réapparaissent pour que ces corps puissent se reconstituer pour la vie éternelle. Notons cependant que ces victimes des bêtes féroces semblent a priori du côté de la damnation. C’est probablement lié à l’absence de sépulture chrétienne.
       Sur la chapelle des Ferrand, curieusement, le jugement dernier se combine avec le goût macabre qui est celui du temps. Car, depuis deux cents ans environ, ce goût est apparu et s’est exprimé dans plusieurs types de représentations, dont les plus nombreuses, qui se multiplient aux XVe et XVIe siècles, sont les « rencontres des trois morts et des trois vifs », et les plus célèbres les « danses macabres ». Dans ces images de la dévotion, ou plutôt de la philosophie, particulière à la fin du Moyen-âge et à la Renaissance, ce sont des cadavres qui figurent, pour manifester le caractère inévitable et égalitaire de la mort et de la décomposition. L’Yonne connaît une forte concentration de ces représentations dans les églises : neuf rencontres des trois morts et des trois vifs (à Collemiers, Chassignelles, Saint-Fargeau, Villiers-Saint-Benoît, Parly, la Ferté-Loupière, Lindry, Vieux-Migennes et Courgis) et une des six danses macabres peintes subsistant en France, à la Ferté-Loupière. Toutes ces peintures murales datent de la fin du XVe ou du début du XVIe siècles. La plus tardive, celle de Courgis, daterait du deuxième quart du XVIe. On voit que le jugement dernier de Joigny leur est bien contemporain.
       Mais, sur le mausolée des Ferrand, on trouve une combinaison originale des deux thèmes. Les citations même combinent les deux phases : l’annonce de la mort et son caractère inévitable sont exprimés par « Sagittae eius acutae » et « omnis caro faenum ». L’annonce de la résurrection et du jugement, comme on l’a vu, par : «RResuscitabo mortuos », « Surgite ad judicium », « Aperiam tumulos vestros ». On comprend donc ce qui est ici exceptionnel : que les cadavres représentés ne sont pas dans la phase de pourrissement, mais bien dans la phase de « recharnalisation », si on veut bien nous passer le mot. Loin d’être, comme les danses macabres, un message pessimiste de décomposition, nous sommes en présence de l’optimisme et de la recomposition. Comme dans la vision d’Ezechiel, les ossements se rassemblent et se recouvrent de chair. Ce passage biblique célèbre a donné lieu à peu de représentations artistiques ; citons une peinture murale de la synagogue de Doura-Europos, en Syrie, au IIIe siècle. Mais nous n’en connaissons pas dans l’art occidental. Sur la fresque de la Brigue, déjà citée, on voit néanmoins un autre rare exemple de jugement dernier où un mort squelettique se relève du fond d’un tombeau, dans un lieu semé d’ossements.
       Les danses macabres chères aux XVe et XVIe siècles s’écartent de la doctrine de l’espérance chrétienne, ou tout au moins l’ignorent. Mettant en évidence l’égalité de tous devant la mort, elles moquent les puissants, qu’ils soient laïcs ou gens d’Eglise. Ne comportant pas de motif religieux, elles présentent une mort strictement matérielle, voire matérialiste. A Joigny, on assiste à un complet retournement de sens : l’art macabre y est en quelque sorte rechristianisé. La joie des morts ne vient pas ici de leur plaisir à entraîner les vivants dans leur néant, mais bien de la vie retrouvée.
       Il semble manquer cependant l’élément principal du jugement dernier : le justicier lui-même, le Christ en majesté venu juger les vivants et les morts, celui qui envoie les élus à sa droite parmi les anges, et les damnés à sa gauche, où ils sont tourmentés par les démons. S’il était présent, sa place serait entre les anges et les démons. Or l’emplacement existe, mais obstrué par l’abside du palais de justice. Tout ce que nous savons de cette face extérieure de l’octogone, c’est la présence autrefois, sous l’entablement, d’une sculpture représentant les armes de la famille Ferrand. Notre hypothèse est donc que le Christ a été présent sur l’entablement, là où la frise aujourd’hui est interrompue par une construction parasite datant de la fin du XVIIIe siècle ou du tout début du XIXe, devenue salle d’audience du tribunal. L’hypothèse donne une cohérence parfaite à l’ensemble sculpté de la chapelle. De façon d’autant plus plaisante qu’elle ne semble pas résulter d’un choix conscient, le juge humain aurait alors siégé pendant près de deux siècles devant l’emplacement occulté du juge céleste, entre les anges à sa droite et les démons à sa gauche.
       On pourrait penser que l’hypothèse demanderait que la porte fût située sous l’image du Christ. Or, la porte visible sur les gravures anciennes est à l’ouest, ce qui est conforme à une autre logique, celle de l’orientation. Celle-ci voudrait aussi que l’autel soit à l’est, ce qui semble avoir été le cas. La porte connue par les gravures existe encore, en plein cintre, et plus basse que les portes percées au XIXe siècle. L’imposte sculptée, qui subsiste partiellement à l’ouest au-dessus du toit d’un bâtiment parasite datant de 1837, décorait logiquement l’entrée du mausolée. Mais comment étaient les autres faces du monument ? La face nord-ouest semble sur les gravures avoir été largement ouverte sur l’extérieur par une baie en anse de panier. Mais, nous l’avons vu, cet état résulte du bris des vitraux pendant la Révolution. Les autres faces ont été tellement défigurées qu’il est seulement possible, à ce jour, d’émettre des hypothèses. Si l’est était occupé par un autel, le mur devait y être dépourvu d’ouverture, mais nous n’avons pas d’explication du curieux agencement des pierres. Les autres pans devaient, nous semble-t-il, ressembler à ceux qui sont connus par la gravure, et être ouverts sur l’extérieur, par des baies vitrées, ou des portes. Les armoiries des Ferrand occupaient l’imposte du midi. Il n’est donc pas exclu qu’elles y aient surmonté une autre entrée possible, ce qui serait cohérent avec une représentation du Christ juge sur cette face.
       Ajoutons pour finir que les armes des Ferrand portaient un phénix. Cet oiseau qui renaissait périodiquement de ses cendres est lui-même une allégorie de la résurrection. Cela contribue aussi à la cohérence du propos de cette chapelle de la Renaissance artistique qui est aussi chapelle de la renaissance à la fin des temps.

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