Le nombre d'Or revisité

       Le nombre d’or existe. Il s’agit de la proportion selon laquelle le rapport entre deux parties est égal au rapport entre la plus grande de ces parties et le tout. C’est un nombre irrationnel : (1 + racine de 5) / 2. Soit 1,618039887... et un nombre infini de décimales. On le trouve notamment dans certaines figures géométriques comme rapport entre longueurs incommensurables. En particulier dans tout ce qui est pentagonal (au même titre que racine de 2 intervient dans le carré, racine de 3 dans le cube, pi dans le cercle…). Il est lié à la suite de Fibonacci, qui est faite de nombres entiers correspondant à beaucoup de modèles de croissance, et qui tend vers le nombre d’or. Il n’est pas dans mon propos de contester son existence ni ses charmes, voire sa fascination, mathématiques. Il n'est pas dans mes compétences de les développer.
 
       « Le nombre d’or a ses dévots et cette dévotion peut se manifester sous des formes très diverses, depuis la contemplation extatique jusqu’au fanatisme et même jusqu’à la violence (elle demeure heureusement verbale). Cet état de choses entraîne de sérieuses difficultés pour celui qui souhaite s’initier sincèrement, sans parti pris préalable, au phénomène « nombre d’or ». La plupart des ouvrages qui sont écrits sur ce thème mélangent des certitudes mathématiques réelles, des affirmations dont on ne sait s’il s’agit de simples hypothèses ou de réalités authentiques, des considérations vagues, etc.» Ce passage du mathématicien Marius Cleyet-Michaud, dans le Que Sais-Je ? consacré au nombre d’or, éclaire notre propos : démêler le vrai du faux dans les considérations de toutes sortes sur cette notion mathématique et ses usages prétendus.
 
       Pour répondre à ce questionnement, trois articles essaient de démêler le vrai du faux : 
- le nombre d'or dans la nature.
- le nombre d'or dans l'art et l'architecture.
- histoire idéologique et religieuse du nombre d'or ("Le nombre d'or est-il raciste ?").
Ces articles peuvent être lus séparément, mais se complètent pour une vue d'ensemble. D'autres articles sont des illustrations ponctuelles : "usage islamique du nombre d'or", "Vitruve", "Guénon, Ghyka, Le Corbusier".
 
       Je renvoie aussi à l'article "nombre d'or" de wikipédia ou au Que sais-je ? sur le sujet. J'ai trouvé, et vous trouverez aussi, des renseignements d'une grande richesse dans le livre de Marguerite Neveux, docteur en histoire de l'art : "Le Nombre d'or, radiographie d'un mythe."

        Car, de ce nombre, bien des usages sont faits qui sortent de la mathématique. Une surabondante littérature le présente comme universellement répandu, d’une part dans la nature, d’autre part dans les œuvres artistiques humaines. Il serait donc quelque chose comme une clé de toute harmonie… Un ouvrage sérieux d’autre part (de l'historien de la Franc-maçonnerie Roger Dachez) disant que tout cela n’était que mythes, j’ai voulu vérifier, autant qu’il m’était possible de le faire. J’ai mené une enquête visant à démêler le vrai du faux, l’hypothèse de la certitude, la foi du choix. Car pour que chacun soit libre de choisir le nombre d’or comme fondement harmonique de ses créations, cette liberté de choix ne doit pas s’étayer de contre-vérités, voire de supercheries. Chacun est libre d’assumer ses fantasmes à la condition de savoir que ce sont des fantasmes. A défaut, il en est l'esclave. Bien des propos sur le nombre d'or reposent sur des affirmations fausses et des arguments inconsistants : sottises au mieux, au pire supercheries. En face, une crédulité presque généralisée, alors qu'il serait si facile de vérifier...

     Que de préjugés ! J’ai été extrêmement surpris par des réactions vives quand j’évoquais auprès de certains amis mes découvertes tendant à démystifier le nombre d’or. Réactions qui l'assimilaient à une doctrine : comme si je m’attaquais à un dogme. En quoi ce nombre fait-il partie de notre corpus symbolique, rituélique ou historique ? En rien. Il fait seulement partie, depuis peu, d’une sorte de culture générale prétendument ésotérique qui présente comme des vérités révélées un certain nombre d’inventions, dont j’aimerais savoir ce qu’elles apportent à une démarche spirituelle ou intellectuelle. Le mythe du nombre d’or rejoint dans ce grand bazar celui du graal, celui de l’Atlantide ou celui du trésor des templiers.

        Pourtant ! Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre, lisait-on à la porte d’une des écoles philosophiques athéniennes. Selon les old charges des maçons opératifs anglais, la géométrie enseigne l’art de la mesure, et représente le système de référence à partir duquel s’effectuent toutes les démarches intellectuelles. La façon dont je l’entends (mais il y a sans doute d’autres façons), c’est que sans rigueur intellectuelle, toute philosophie et surtout tout ésotérisme peuvent conduire aux pires aberrations de l’esprit, peuvent laisser prendre à n’importe quel charlatanisme, et le mythe du nombre d’or en est l'exemple typique. La rationalité, l’objectivité, le doute, l’esprit critique, sont la base de toute recherche de la vérité. A défaut, on n'est pas loin des monstres qu'engendre, selon Goya, le sommeil de la raison. Et les monstres intellectuels accompagnent les monstres politiques, éventuellement les légitiment. De ce point de vue, le tyran Pythagore éliminant les opposants à sa théorie des nombres est un prédécesseur plausible aux tyrans du vingtième siècle...

       Pour conclure, je rappelle une anecdote authentique qui me semble prendre valeur de parabole. Sous le Second Empire, un des plus grands mathématiciens du monde, Michel Chasles, découvrait des théorèmes, justement, sur les harmonies entre segments géométriques. Ce savant distingué, professeur à Polytechnique et académicien des sciences, avait une marotte : il collectionnait les autographes (comme d’autres les médailles maçonniques). Un de ses fournisseurs s’appelait Vrain-Lucas, qui lui vendait des lettres anciennes extraordinaires (la plus hilarante est celle de Cléopâtre à Jules César, écrite en ancien Français). Vous l’aurez compris, c’était des faux. Ainsi Chasles présenta à l’Académie des Sciences des lettres tendant à prouver que Pascal avait découvert l’attraction universelle avant Newton (le mystique précédant ainsi le scientifique ! Est-ce pas symbolique !). Le faux, absurde et grossier, fut facilement démontré. Le géomètre fut la risée du monde scientifique international. Tirons-en des leçons ! La géométrie n’empêche pas d’être victime des charlatans et des faussaires. Avec Blaise Pascal (le vrai), je rappelle que l’esprit de géométrie sans l’esprit de finesse est aussi incapable de juger que l’esprit de finesse sans l’esprit de géométrie. Il dit aussi « les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres ».

(Suite : le nombre d'or dans la nature)

 

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