MARC  LABOURET

Les secrets des bâtisseurs

(Les illustrations de cet article sont des citations de Daniel Goossens, grand auteur de bande dessinée. Elles sont tirées des quelques épisodes de la Science mystérieuse des grands anciens, parus dans (A Suivre) en 1978-1979 et jamais publiés en livre à ma connaissance) 

- Les cercles de culture sont-ils une réponse des extra-terrestres au message d’Apollo XI ?
- Les structures sous-marines des Bahamas sont-elles des vestiges de l’Atlantide ?
- La carte des cathédrales Notre-Dame d’Ile-de-France reproduit-elle la constellation de la vierge ?
- Les Pyramides d’Egypte ont-elles été construites grâce à un savoir disparu ?
- Nostradamus a-t-il prédit Hiroshima ?
- Les Templiers ont-ils caché leur trésor à Rennes-le-Château ?
- Les géoglyphes de Nazca sont-ils une piste d’atterrissage d’extra-terrestres ?
- Les mayas ont-ils prédit la fin du monde pour 2012 ? (variante : Saint Malachie a-t-il prédit la fin du monde à la mort du pape Benoît XVI ?)

Le nombre de réponses positives vous permet de vous situer, de 1 à 10, sur l’échelle de Richter du zozotérisme.

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Ce ne sera pas ici le lieu d’analyser chacune de ces théories, et de rappeler pour chacune l’état des connaissances. Il y faudrait, sans aucun doute, un article pour chacune, comme je l’ai fait pour les cathédrales Notre-Dame et pour le suaire de Turin, voire beaucoup plus, comme en ce qui concerne le nombre d’or, auquel j’ai déjà consacré sept articles sans avoir épuisé le sujet. Je souhaite ici seulement essayer d’en donner une analyse d’ensemble.

Certes, que vous soyez petit zozotérique ou zozotériste confirmé, c’est votre droit. Vos croyances vous appartiennent. Mais si vous craignez de les remettre en question, évitez de lire ce qui suit. Car, entre nous, il n'y a pas de secret des bâtisseurs.

1. VOUS AVEZ DIT ZOZOTERISME ?

C’est le plus souvent devant des objets ou des phénomènes dont l’origine nous est inconnue, dont la finalité nous échappe, dont le mode de construction nous étonne, mais que nous voulons néanmoins comprendre, qu’apparaît l’explication zozotérique. Comment des choses aussi surprenantes ont-elles pu être édifiées par la nature ou par des gens normaux ? Le zozotérisme naît du besoin d’explication.
A l’occasion de visites de sites archéologiques, de temples ou d’églises (plus rarement de monuments civils, toutefois le château de Montségur est un bon sujet d’étude), un guide plus inspiré que compétent nous réjouira de ses explications de ce qui lui semble mystérieux : les Templiers et les francs-maçons seront invoqués, les Atlantes, mais aussi bien les Hyperboréens, les anciens Egyptiens, Pythagore, les druides et, en dernier recours, les extra-terrestres. On entend aussi – signe des temps – des explications pseudo-scientifiques, par des ondes, des lignes de force… Et on notera que le recours à ces causes premières semble écarter, presque toujours, le surnaturel.

Le mot zozotérisme est un mot-valise, formé de zozo et ésotérisme.

Zozo (familier) : personne ignorante et crédule.
Esotérisme (du grec ancien esôteros, « intérieur ») : enseignement secret réservé à des initiés.

Le zozotérisme est donc la prétention ésotérique proposée à des personnes crédules. On appellera plutôt zozotériste celui qui élabore de telles conceptions, zozotériques ceux qui en sont adeptes par crédulité. Les uns et les autres participent à son prosélytisme.

On emploie couramment le terme ésotérisme pour désigner pêle-mêle tous les occultismes. C’est un abus de langage. Le mot ne s’applique à juste titre qu’aux doctrines dissimulées au plus grand nombre par une exigence de secret, mais transmises à une élite sélectionnée – les initiés. Les occultismes, quant à eux, sont des doctrines variées dont le point commun est de refuser l’esprit scientifique et valoriser le mystère. Les ésotérismes sont parfois considérés comme des occultismes dans la mesure où ils veulent cacher leur contenu aux profanes : ce serait le cas de la franc-maçonnerie et plus encore du compagnonnage. Mais la plupart des occultismes n’ont rien d’ésotérique. Ne nous égarons pas ici dans le labyrinthe des croyances marginales, des pseudo-sciences aux cryptozoologies, aux mancies et aux parapsychologies, qui ne sont cachées à personne : à preuve leur succès dans les media et leur déferlement sur internet. Umberto Eco dit même que "l'occultiste est un exhibitionniste".
Pour ma part, je pense que toute initiation n’est pas ésotérique : on peut recevoir une initiation à l’informatique ou à l’équitation… Dans ces exemples, le terme n’est pas impropre. Initiation est toujours synonyme d’apprentissage. Il n’y a ésotérisme que s’il y a interdiction de dévoiler aux profanes des données secrètes. Entre autres exemples, le spiritisme ou l’astrologie sont des occultismes, mais ne dépendent d’aucun secret ni d’aucune révélation réservée à des initiés. A l’inverse, compagnonnage et franc-maçonnerie sont des ésotérismes, mais non pas des occultismes : leur but est bien d’enseigner à leurs adeptes, non de dissimuler. De les élever, non de les leurrer.
Et il n’y a zozotérisme que si ces prétendus savoirs relèvent de l’invention, au mépris des données de la science et souvent du bon sens commun. C’est un pseudo-ésotérisme, prétendant qu’on nous cache une vérité secrète là où il n’y a pas plus de secret que de vérité.

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Gardons-nous aussi, pour la clarté de l’exposé, d’assimiler le zozotérisme aux théories du complot. Celles-ci sont aussi des tentatives de rendre compte de la complexité du monde. La méthode zozotérique y est apparentée. Les deux sont des "conséquences du manque de référence à Dieu", pour reprendre une formule de Karl Popper. Mais elles fonctionnent de façon inversée : le contenu zozotérique est positif, digne d’admiration, tandis que le complot est négatif, méprisable. La théorie zozotérique n’est pas le résultat d’un complot, mais viendrait de quelque espèce de « grand ancien » ayant bénéficié d’un savoir supérieur. Ah ! Le complot est bien présent, mais pour nous dissimuler ces théories : le grand accusé, c’est « la science officielle », voire « les universitaires »… Le scientifique, voilà l’ennemi ! Fuyons la connaissance et l'esprit critique ! Préférons l’obscur. Plus c’est vrai, plus c’est faux. Et puisqu'il n'y a pas de fumée sans feu, faisons le maximum de fumée.
C’est ainsi que, par un retournement acrobatique de la charge de la preuve, les habituels comploteurs deviennent pour le zozotérique des transmetteurs respectables de savoirs anciens : les illuminés de Bavière (renommés illuminati pour les besoins de la cause), les Templiers (qui bénéficient de l’aura du martyre, qui prouve bien qu’ils avaient raison), et même les francs-maçons. En revanche, ces pseudo-initiés se heurtent à un monde hostile de scientifiques "officiels", qui au moins les méprise, au plus les opprime : il y a de la paranoïa dans tout zozotérique.

2. LE ZOZOTERISME, MODE D’EMPLOI

Croire : une nécessité

Le besoin d’explication est une tendance normale et saine. La curiosité intellectuelle est une grande vertu, fondatrice de la connaissance. Mais faute de connaissances et d’esprit scientifique, elle débouche sur la pensée magique, tendance spontanée à tous les âges de l’humanité et sur tous les continents.
La crédulité est un phénomène normal. L’exemple du père Noël le montre : nous ne pouvons pas vivre sans croire d’abord à ce que nos parents nous enseignent. Puis nos maîtres. Il faut de la maturité, de l’apprentissage, et parfois des efforts sur soi-même pour que nos croyances se détachent de la crédulité et relèvent d’une adhésion personnelle. Il en faut plus encore pour distinguer ce qui relève de la croyance et ce qui relève de la connaissance. Tout charlatanisme se nourrit « aux dépens de celui qui l’écoute » de la confusion entre ces deux domaines.
Le zozotérisme, comme la superstition selon Spinoza, est « le destin malheureux de notre besoin de croire ».

Il y a croire et croire

Les sciences sont des recherches de compréhension de l’inconnu. Pour elles, l’inconnu est connaissable, terre ignorée qu’il s’agit d’explorer. Contrairement aux zozotéristes pour qui l’inconnu est mystérieux, pour qui il échappera à toute connaissance rationnelle, et qui privilégient des explications qui sont elles-mêmes inexplicables. L'intelligible contre l'inintelligible.
Les religions sont différentes, quoiqu’elles fonctionnent à l’occasion comme explication par des forces cachées. Leurs cosmogonies sont affaire de foi. La foi est une variété de croyance. Elle s’applique à des notions surnaturelles qui ne peuvent avoir une explication par l’homme ni par la nature. La foi se sait irrationnelle, et fonctionne sans preuve, comme l’amour. C’est pourquoi aussi les rationalistes excessifs, qui croient pouvoir lutter contre les religions par la preuve, en cela se trompent. Face à la modernité, et au moins depuis Thomas d’Aquin, la survie intellectuelle des religions est liée à leur capacité de se concilier avec la science. Les juifs et les chrétiens ne sont pas tous créationnistes ! La plupart considèrent que leur dieu est assez intelligent et puissant pour avoir créé un monde évolutif. On peut être chrétien (ou d’une autre foi) et astronome, historien, paléontologue, biologiste… On peut adhérer de pair à la foi en une transcendance et à des explications matérialistes des phénomènes matériels et sociaux.
La croyance religieuse relève d’un choix (ou d’un pari) respectable, tant qu’elle n’est pas utilisée comme moyen de manipulation, de pouvoir ou d’extorsion. Mais cette critique des malfonctions sociales des religions est un autre débat qui ne s’adresse pas à leur fondement irrationnel. Celui-ci échappe par définition au champ de la preuve. Ceux qui ne le partagent pas peuvent et doivent le tolérer. Laïcité oblige.
En revanche, le zozotérisme est par définition contradictoire avec la connaissance scientifique (notamment historique). Il ne concerne pas des notions surnaturelles (le salut, l’éternité, l’âme…), mais bien des phénomènes concrets. Il prétend les expliquer, sauf exception, par des causes elles-mêmes matérielles (fussent-elle extra-terrestres).

Ainsi, il y a une importante différence entre la croyance, métaphysique, légitime et qui se sait croyance (foi), et la crédulité. Celle-ci s’applique à des phénomènes ou objets concrets, alors que la croyance religieuse s’applique à des notions abstraites et à une transcendance. Le zozotérisme prétend à une sorte de scientificité, et parfois le dit : science sacrée, sciences occultes, sont des expressions courantes. A la foi en une révélation surnaturelle qui fonde la croyance religieuse s’oppose la prétention à une transmission par des initiés, ce qui est bien différent.
La prétention des zozotéristes à bénéficier de la liberté de conscience est donc abusive. La manipulation des esprits leur est intrinsèque, et souvent est leur raison d’être même. Et, paradoxalement, le zozotérisme résiste davantage à la science que ne le fait la religion : il est fondé sur une disqualification de la connaissance scientifique ou historique. Le zozotériste est un imposteur, le crédule est une victime.
Tout aussi infondée, leur revendication à une prétendue "ouverture" de l'esprit. Ce n'est pas avoir l'esprit ouvert que de rester sur les crédulités bien ancrées sans accepter de les remettre en question à la lumière des connaissances actuelles. Ce n'est pas avoir l'esprit ouvert que de préférer les manipulations des charlatans et des escrocs à la voix de la science, voire seulement de la raison. Ne confondons pas ouverture d'esprit et rejet de l'esprit critique. C'est bel et bien la science qui se remet en question constamment.

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L’inconnu et le mystère

La constante invariable de tous les zozotériques réside dans la méfiance à l’égard de la science, qualifiée d’« officielle » pour la discréditer (ou de "classique", voire de "conventionnelle"!). En somme, le zozotériste fait porter le doute méthodique sur des théories scientifiques admises, et les remplace par des certitudes élucubrées. On peut comprendre qu’on doute de la connaissance scientifique. Elle est incomplète et imparfaite. Mais le zozotérique croit en des théories qui sont encore plus douteuses, voire dont la fausseté est démontrée.
Cette méfiance à l’égard des explications admises par la communauté scientifique est au fond un aveu d’ignorance, étendu abusivement à toute la connaissance contemporaine. Elle relève donc du syndrome « crise du monde moderne » (voir mes articles sur René Guénon). Elle est essentiellement réactionnaire, rejet de la science et de la modernité. Elle voit l'histoire de l'humanité comme une longue décadence, depuis un âge originel de sagesse et de science jusqu'à la fin du monde prochaine. Elle est aussi déresponsabilisante, en tranformant des merveilles du génie humain en prodiges de races supérieures éloignées dans le temps ou dans l'espace, et en postulant notre ignorance et notre impuissance.
Elle s’étaye d’une théorie du complot : on nous cache la vérité. Et du goût du mystère. Celui-ci naturellement est la faiblesse du système : l’inconnu s’explique par le mystère, donc en réalité ne s’explique pas. Le zozotérisme est inefficace. L’occulte entend bien rester occulte. « Sciences occultes » est un oxymore, une contradiction dans les termes.
Il y a un paradoxe absolu dans ce refus de la raison. Dans cette prétention à trouver la vérité sans les outils de recherche de la vérité. Le zozotériste applique son esprit critique à l’esprit critique. Plus c’est faux et plus c’est vrai ! Raisonnement circulaire, rond-point où on est condamné à tourner indéfiniment, toutes les rues étant en sens interdit.

Les adeptes d’explications zozotériques sont la plupart du temps de bonne foi, et ne pèchent que par naïveté. Mais d’autres défendent leur gagne-pain, gourous, charlatans, imposteurs... On les reconnaît d’abord à leur rhétorique, caractérisée par la disqualification a priori de l’adversaire, le refus du sens critique, la paranoïa anti-scientifique, la dénonciation de décadences intellectuelles, les affirmations gratuites, l’exploitation de la naïveté et parfois de la peur, les raisonnements circulaires…

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3. ESOTERISME MAÇONNIQUE ET ZOZOTERISME

Curieusement, la franc-maçonnerie apparaît comme un carrefour des zozotérismes. On y cultive les légendes de transmissions prétendument initiatiques, les mythologies y sont souvent considérées comme des vérités. C’est paradoxal, puisqu’elle est, historiquement et explicitement, une recherche de vérité, et qu’elle annonce comme sa vocation la lutte contre les ignorances, fanatismes et superstitions. C’est surprenant aussi de la part de gens qui devraient être bien placés pour savoir les sottises et les méfaits des théories du complot.

Les zozotérismes de la pseudo-histoire maçonnique

Depuis les anciens devoirs, le souci de légitimité conduit à essayer de rattacher la franc-maçonnerie à des lignées ésotériques antérieures. Anderson remonte à Adam, Dermott se contente de Salomon, Ramsay s’approprie les croisés. La veine reste féconde. On va chercher des ancêtres mystérieux dont l’ésotérisme aurait engendré le nôtre. Par des canaux tellement mystérieux qu’ils échappent à tout historien et tout archéologue (ce qui prouve bien qu’ils étaient secrets !). Dans les pays latins, on tente de se prétendre héritiers des mystères antiques. Aujourd’hui, les mythologistes sont conscients que ces légendes n’ont pas plus de réalité historique que le mythe d’Hiram. Dans leur recherche de légitimité séculaire, ils se rabattent, sur la foi d’indices ténus et parfois contrefaits, sur les rois de la dynastie Stuart, Raymond Lulle ou de prétendus alchimistes et kabbalistes chrétiens. Certains (les nommer ne serait pas fraternel) dénoncent la maçonnerie « andersonienne » en ignorant délibérément qu’ils lui doivent des références fondamentales de leur fonctionnement : grande loge, grade de maître, mythe d’Hiram.
Car la franc-maçonnerie n’est pas née de rien. On le sait. On sait aussi que ces prétendues généalogies pré-andersoniennes sont au mieux hypothétiques, au pire fallacieuses. C’est en réécrivant l’histoire dans un sens qui prétend démontrer l’indémontrable que la tendance zozotérique s’installe dans bien des loges.
Y a-t-il imposture manipulatrice ? Oui, quand ces inventions entendent légitimer un style de franc-maçonnerie (une obédience, un rite) et disqualifier les autres. Et plus encore quand il s’agit d’imprimer à la démarche maçonnique une intention religieuse, ou plus simplement de lui imposer des prétendus « landmarks » métaphysiques, et de rejeter des hérétiques. La fraternité universelle maçonnique partage la même symbolique et la même vocation. Ceux qui excluent d’autres s’en excluent eux-mêmes.

Les zozotériques de la symbolique maçonnique

Les professeurs de symbolique maçonnique les plus lus pratiquent à peine autrement : ils inventent aux symboles des sens alchimiques (Wirth en sort de bonnes) ou kabbalistes (exemples caricaturaux chez Boucher). Ce n’est pas illégitime s’il s’agit sincèrement de refonder la ferveur sur des innovations symboliques assumées (c’est évidemment le cas de l’introduction d’éléments pseudo-alchimiques par Wirth, ou kabbalistes par Doré). Cela devient vénéneux quand le but est de définir, par le mensonge, une orthodoxie traditionaliste. Guénon (voir les articles à son sujet) atteint l’apex, voire le zénith, de la démarche zozotériste. Plus zozotériste que Guénon, tu meurs. Ses pseudo-références à des traditions lointaines ne sont pas des secrets, seulement des sécrétions. Mais que de planches « symboliques » ne s’édifient que sur ces contresens. De nombreuses loges cultivent naïvement un bouillon de culture où l’ésotérisme devient pathologique. La franc-maçonnerie n’y cherche plus la science, ni quelque vérité que ce soit : le but est le mystère. Le goût pour le secret (surestimé en ce qui concerne le secret maçonnique lui-même) conduit les maçons à sécréter du secret, comme le foie sécrète la bile. Même la signification ésotérique des symboles maçonniques simples, telle qu’elle est révélée aux initiés par les rituels, ne leur suffit plus dès lors qu’elle est dévoilée. Il faut recréer de l’ésotérique à l’intérieur de l’ésotérique : dès lors, on zozotérise.
C’est à proprement parler un obscurantisme, chez ceux-là même dont la raison d’être est de lutter contre l’ignorance et la superstition. C’est un dévoiement de l’ésotérisme, puisque celui-ci a pour vocation d’enseigner aux initiés, non pas de leur dissimuler toujours davantage. Le zozotérisme général rend en fait impossible tout ésotérisme particulier. Or il n’y a que des ésotérismes particuliers. Ce qu’ils ont en commun est le plus superficiel et non pas le plus profond. C’est l’originalité du symbolisme maçonnique qui fait son efficacité et sa modernité, et non un rattachement ridicule aux templiers, aux savoirs secrets des bâtisseurs, aux mystères d’Eleusis ou aux alchimistes.

Faut-il lutter contre les zozotérismes ?

Le zozotérisme est donc intolérable. Il est synonyme de manipulation ou de superstition, il est toujours éloge de l’ignorance et refus de l’intelligence.
Pourtant, il trouve étonnamment peu d’adversaires, et se répand sans presque être contredit. Internet, ce prodigieux outil d’information, est beaucoup plus utilisé comme moyen de désinformation. Les zozotériques sont infiniment nombreux à y défendre et argumenter leurs élucubrations. A l’inverse, les scientifiques sont rares à les ridiculiser et à en démontrer l’absurdité, voire à en dénoncer les mensonges. Ils considèrent en majorité que ce serait une perte de temps. Voyez sur votre moteur de recherche les occurrences d’apparition des templiers, des illuminati, voyez les élucubrations sur les cercles de culture ou la constellation de la vierge. A rebours du courant dominant, combien de sites appellent à la lucidité ?
Peu nombreux, les adversaires de cet obscurantisme sont aussi désarmés. Car le goût du spectaculaire caractérise notre époque, et le besoin d’imaginaire. Le zozotérisme alimente une littérature et une filmographie abondantes, et d’ailleurs souvent de qualité. Et, comme dit le journaliste à la fin de « L’homme qui tua Liberty Valance » (chef d’œuvre absolu), « quand la légende est plus belle que la réalité, on publie la légende ». Ainsi, l’erreur est omniprésente, propagée par des gens souvent intelligents et de bonne foi, et la rationalité exceptionnelle et critiquée comme une intolérance.

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La dissonance cognitive
Le prototype et le modèle de la crédulité, c’est le Père Noël. Les adultes manipulent le désir d’explication et le goût de mystère des enfants, pour leur faire croire à une cause quasi-surnaturelle (traditionnelle et hyperboréenne) et écarter leur attention de l’origine réelle des cadeaux.
Comment changer de croyance ? L’enfant qui commence à douter de l’existence du père Noël se trouve dans une situation de « dissonance cognitive ». Il doit choisir en quoi croire, en qui avoir confiance. De même, quand on nous a asséné pendant des années, y compris à l’école, que le nombre d’or a servi à bâtir les temples grecs et les cathédrales gothiques, il faut une recherche personnelle laborieuse pour se rendre compte qu’il s’agit de mensonges. Et auparavant, pour justifier cette recherche, il faut affronter une remise en question, et une remise en question durable : car tant que le doute demeure, la tendance naturelle est de conserver la croyance antérieure. C'est ce qu'on appelle le "biais de confirmation". L'esprit paresseux se satisfait facilement de la première confirmation de son préjugé, et ne va pas plus loin. De plus, il est rare que la vérité soit expérimentable personnellement. Le plus souvent, c’est encore par l’intermédiaire de la confiance dans de nouvelles informations qu’on remet en cause les confiances préalables.
Même quand il y a possibilité simple d’expérimentation, il est confortable de se fier à l’idée reçue. L’exemple de l’effet coriolis est éclairant : on nous a beaucoup dit que celui-ci, qui explique de grands courants aériens et maritimes à l’échelle planétaire, cause aussi le sens du tourbillon qui se forme au fond de la baignoire et du lavabo quand on les vide. Même une émission télévisée de vulgarisation scientifique l’a affirmé. Fallace. Il est facile à chacun de constater que ce fameux tourbillon se forme aussi bien dans les deux sens.
Plus étonnant encore : même l'aveu de la tricherie par son auteur ne convainc pas ses dupes. On aime mieux justifier sa crédulité que la remettre en cause. Ceux qui continuent de croire à l'origine extra-terrrestre des cercles de culture, ceux qui ont continué de croire aux pratiques satanistes des loges maçonniques malgré les aveux d'invention de Léo Taxil,  en donnent des exemples. Plutôt que reconnaître sa naïveté, on préfère croire que les menteurs ont menti en avouant leurs mensonges.

 Pour toutes ces raisons, en cas de dissonance, nous accordons la priorité aux idées reçues.

La chasse au canard

S’il est laborieux de changer soi-même ses croyances, combien plus le sera-t-il de faire évoluer les opinions d’autrui !
J’ai l’habitude radoteuse de rapprocher la méthode maçonnique et la méthode scientifique. Toutes deux recherchent la vérité sans jamais la trouver, mais s’en rapprochent tout au long de leurs parcours. Elles reposent sur la même épistémologie, fondée sur l’esprit critique. Elles démarquent le savoir, réfutable et vérifiable, des croyances irréfutables, tout en respectant celles-ci en tant qu’hypothèses.
Bien évidemment, il ne suffit pas de se référer aux quatre éléments et aux sept arts libéraux. Ceux-ci sont présents comme symboles des savoirs scientifiques d’aujourd’hui, ou n’ont plus de sens. Il est dans la fonction et dans la méthode de travail des loges de lutter contre l’ignorance. La sienne et celle des autres. Concernant les zozotérismes, il existe trois angles d’attaque simples. Chacun peut suffire, mais les trois se complètent. Et les zozotérismes ont une forte tendance à réémerger malgré nos efforts pour les saborder, ce qui vaut de leur appliquer la métaphore de l’insubmersible canard de bain.

- Premier angle : l’état de la science concernant le phénomène ou l’objet concerné. La géologie explique le « temple d’Andros » aux Bahamas aussi bien que la chaussée des géants qui ne doit évidemment rien aux géants. L’archéologie et l’histoire de l’art expliquent Khéops, les moaïs de l'île de Pâques, Stonehenge, Chartres, Rosslyn, le suaire de Turin... On connaît par leurs noms les inventeurs des cercles de culture. Et cetera. La science n’a pas réponse à tout, mais elle permet d’écarter tout "mystère".

- Second angle : l’état de la science historique et archéologique concernant les prétendues origines. L’Atlantide est une invention de Platon. L’astronomie, malgré les moyens prodigieux mis en œuvre, n’a toujours pas découvert la trace de la moindre vie ailleurs que sur terre. Le papyrus de Rhind ôte toute illusion sur le savoir des anciens égyptiens. Les historiens savent pratiquement tout des templiers, sur lesquels aucun mystère ne subsiste. De même concernant les illuminés de Bavière… Et la franc-maçonnerie étale ses fameux secrets dans une littérature inflationniste. Aucune soi-disant transmission de savoir secret n’a d’origine crédible.

Cette approche se complète de la dénonciation des impostures diverses, raisonnements faussés, tricheries manifestes ou plaisanteries facétieuses. Les cercles de culture ont été inventés par Doug Bower et Dave Chorley, la vie de Lobsang Rampa est une création de Cyril Henry Hoskin, les prophéties de Malachie sont dues à Arnold Wion, le triangle des Bermudes à Charles Berlitz, etc.

- Troisième approche, préventive : enseigner les méthodes scientifiques autant que les savoirs scientifiques. Il appartient à chacun de se méfier, de douter, puis de vérifier en se fondant sur l'état des sciences  d'aujourd'hui.

Ce genre de propos ne plait pas à tout le monde. Il me vaut le reproche de tuer le rêve et la poésie. Certes, le goût du mystère est pour beaucoup dans la flottabilité du canard, si séduisant entre les bulles de savon. Il est tellement plus aimable de justifier l’inconnu par le mystère. Comme le père Noël, prototype du rêve et de la poésie (mais ni la meilleure, ni la plus mature). Le refus de la raison que manifeste cette attitude répandue se renforce de la méfiance entretenue à l’égard de la science. Le rationaliste qui veut couler le petit joujou innocent est un méchant. L’ignorance se satisfait d’elle-même. Le zozotérisme est aussi un fruit de la paresse. Et, non, décidément, ce n’est pas de la poésie. Merci à Didier V. pour cette citation de Paul Valéry : « La plupart des hommes ont de la poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est pour eux la définition de la poésie ». La poésie se caractérise au contraire par la précision, le choix du mot juste, l’harmonie musicale des phrases accordée à la profondeur du sujet. Le zozotérisme ne fournit la matière que de romans de plage.

Un peu de maçonnerie superficielle peut rendre perméable aux zozotérismes, à moins que ce ne soit le goût du mystère qui amène à entrer en franc-maçonnerie. Dire que nous disons et écrivons : « Si la curiosité t’a amené ici, va-t’en ! » Il faut attendre le sixième degré du rite écossais ancien accepté pour que les vertus de la curiosité soient reconnues. Pourtant, une vraie culture maçonnique, même une vraie culture « tout court », délivrent de ces fariboles. Bâtisseurs ? On ne bâtit pas sur l'imaginaire. La connaissance seule libère. Reste à mener le combat contre l’ignorance, dont les francs-maçons sont tragiquement absents. 

 

HYPHOGRAPHIE
De nombreux articles de l’Association Française pour l’Information Scientifique concernent les zozotérismes, en général ou en particulier (site : www.pseudo-sciences.org). Je renvoie surtout à :
- La force d’une croyance : www.pseudo-sciences.org/spip.php?article969
- La démarche scientifique face à la parapsychologie : www.pseudo-sciences.org/spip.php?article138
- Le philosophe face aux para-sciences : www.pseudo-sciences.org/spip.php?article136
- Démasquer le non-sens est un devoir moral : www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2343

BIBLIOGRAPHIE
Rechercher dans les premières années du mensuel de bandes dessinées (A Suivre) les petits épisodes de « la Science mystérieuse des grands anciens », par Goossens. Les citations présentes dans cet article sont limitées par souci du respect des droits de l'auteur, et ne rendent évidemment pas justice à leur irrésistible humour décalé. Malheureusement ces petits chefs d'oeuvre ne sont pas encore publiés en livre.

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