MARC  LABOURET

Histoire de David

  Il y a fort longtemps, un jeune berger devint un grand roi. Sa vie devint un mythe, son œuvre entrait dans la légende. Il s’appelait David.

  On avait allongé le vieux roi sur un lit de peaux de bêtes. Malgré les couvertures de chameau qui le recouvraient, rien n’arrivait à le réchauffer. De lourds braseros et candélabres diffusaient à la fois chaleur et lumières, la pièce était emplie des senteurs d’encens et de myrrhe qui se consumaient. Leurs fumées devraient accompagner le futur défunt dans sa dernière campagne, rejoindre son Dieu. Toute sa vie avait été un combat pour l’honorer et donner à son peuple un territoire où il pourrait lui rendre hommage.
   Jour et nuit, se présentaient autour du lit royal prêtres, mages, militaires, femmes, enfants et esclaves.
   On fit venir la jeune Abishag de Shunen, concubine de sang royal, grand ornement du harem par son incomparable beauté. Chargée de réchauffer et de veiller le roi, elle passait ses jours et ses nuits à son chevet.
Au dehors Adonias, fils du roi David et d’Haggit, une des concubines légitimes du roi mourant, se comportait déjà en successeur. Il parcourait la région sur un superbe char attelé de quatre puissants chevaux que précédaient, en courant, cinquante gardes. Il avait fait disparaitre Absalom et Amnon, ses deux frères de sang qui auraient pu prétendre au trône, car ses ainés. Afin d’asseoir son autorité, il avait fait organiser un immense sacrifice où furent immolés moutons, bœufs et veaux gras. Exécuté aux hauts lieux sacrés de la « Pierre-qui-glisse » près de la source du Foulon, il y avait convié ses autres frères, les princes royaux, les prêtres et tous les Judéens au service du Roi, combattants gradés prêts à reconnaitre sa légitimité. Il s’était bien gardé d’inviter le prophète Natân ainsi que Benayahu et Salomon ses demi-frères cadets, fils de Bethsabée, autre concubine du roi, ainsi que certains preux chevaliers qui servaient Salomon. Il savait que Bethsabée et Natân fomentaient pour la place.
   Les derniers jours de ce glorieux roi étaient agités et ses délires lui faisaient revire l’épopée de sa vie.

 

Enfance de David 

   Tout avait commencé quand le peuple des tribus nomades d’Israël demanda qu’un roi soit nommé à sa tête. Lassés d’être gouvernés par les prêtres et prophètes, divisés par des querelles de pouvoirs dont l’origine s’était diluée dans des temps immémoriaux, dominés par certains, comme le grand prêtre Héli, qui régnaient autoritairement sur leurs vies, ils voulurent un Roi unique. A l’image des peuples Perse et Egyptien. Leur identité n’en serait que plus assise et mieux reconnue. Un roi pour gouverner et guerroyer, des prêtres et des prophètes pour le culte. Ainsi les choses seraient plus claires et leurs tribus protégées. Ils étaient las des conflits. La recherche de cette terre promise, dont les prophètes faisaient état dans la lecture des textes saints, les avait conduits dans une fuite perpétuelle. Les tribus et demi-tribus du temps jadis, lointaine époque où ils étaient sous la domination de Pharaon, les avaient menés à la suite du grand prophète Moïse, porteur de la parole du Dieu unique, dans une fuite sans fin. Ils avaient besoin de trouver ce refuge et de construire une vie sédentaire à la gloire de Dieu.
   Les guerres avaient apporté la désolation. L’Arche d’alliance, symbole de la puissance de leur culte, avait été confisquée par les Philistins, alors au sanctuaire de Silo, au temps du gouvernement du juge Héli.
   Le juge Samuel, disciple d’Héli, les mit en garde du danger qu’une autorité unique entrainerait. Mais le peuple n’en eut cure et l’exhorta à oindre Saül, fils de Qis de la tribu de Benjamin. Il était réputé pour sa haute taille, son courage et sa force, grand chef de guerre, et vainqueur de nombreuses batailles.
   Sous la pression, Samuel finit par donner les saintes huiles à Saül, qui devint ainsi le premier roi du peuple d’Israël.
  Saül était un guerrier féroce. Son nouveau titre, légitimé par son peuple, confortait son ambition de conquérir de nouveaux territoires. Depuis longtemps son peuple convoitait les terres des Philistins que les prophètes disaient être la terre promise. Peuples de marins, ils occupaient alors de riches et bonnes terres en bordure de la mer Méditerranée. Le Roi se mit en devoir de conquérir cette place pour y installer son royaume. Mais les fiers Philistins n’entendaient pas se faire spolier, voire dominer, par ce peuple d’anciens esclaves. De nombreuses batailles avaient déjà fait rage entre ces deux peuples impétueux. C’est lors de l’une d’elles, située à Afek, que les Philistins s’étaient emparés de l’Arche d’alliance. Afin de commémorer leur victoire, ils l’avaient déposée dans le temple du Dieu Dagon, en la cité d’Ashod. Saül n’aura de cesse que de reprendre l’Arche, qui renfermait les tables de la loi de leur culte, dictée par Dieu lui-même à Moïse, et d’installer son royaume.
   Chaque tribu ou demi-tribu avait son arche, sanctuaire portatif, pour les besoins du cérémonial de leur culte au dieu Yahvé. A chaque campement, un tabernacle, ou tente sacrée, était dressée et entourée d’une clôture. L’arche contenait les instruments nécessaires aux offices, table, candélabres, autel, et les vêtements des officiants.
   Les tribus, pasteurs nomades, se composaient de plusieurs familles, dont le nom définissait la place et la fonction particulière au sein du groupe.
   Venaient d’abord les prophètes ou grands prêtres, gardiens de l’Arche et ordonnateurs du culte, puis les lévites, qui étaient au service de la demeure de dieu (tente) appelée aussi « temple ». Ils étaient chargés des offrandes, des holocaustes (sacrifices d’animaux) et des parfums (encens et myrrhe) à l’intérieur du temple. Puis venaient les chantres, chargés des chants a l’intérieur du temple, quand l’arche y était déposée. Et enfin les portiers qui gardaient les accès.
   Chaque tribu se déplaçait avec religieux, hommes, femmes, enfants, vieillards, troupeaux, animaux de basse-cour. Quand on installait un camp, le temple et l’arche était dressés dans un lieu défini par les astres qu’interprétaient les religieux.

   C’est au sein de la tribu des Juda, famille influente, que naquit David, fils d’Isaï (ou Jessé). Le groupe avait alors monté le camp proche d’un lieu appelé Bethléem. Le prophète qui avait circoncis David, prédit une fabuleuse destinée à l’enfant. Né avec les cheveux roux, son père se persuada qu’il était un bâtard. David passa les premières années de sa vie à courir dans les montagnes pour garder les troupeaux. Il était toujours accompagné par son ami Samuel, de cinq ans son aîné, qui avait pour mission de surveiller le fougueux garçon. David n’avait pas son pareil pour éloigner les prédateurs ; muni d’une fronde, il faisait mouche à tout coup. Fort des prédictions du prêtre, il rêvait d’invincibilité et de conquêtes. C’est ainsi que face à un ours qui menaçait son troupeau, le jeune homme réussit, dans un combat au corps à corps, à tuer l’animal en lui cassant la mâchoire. Il était aussi très doué pour jouer de la harpe. Ses chants et sa musique redonnaient la paix aux animaux craintifs.
   Malgré cet univers pastoral, la guerre pour reconquérir l’arche d’alliance faisait rage au loin. Les trois grands fils d’Isaï avaient rejoint les troupes du roi. Saül semblait s’enliser dans de perpétuelles défaites. Il y avait de nombreux morts de part et d’autre. Les philistins, persuadés que l’arche portait malheur, l’avait transférée en la ville de Gath.
   Le roi des Israélites commençait à se demander si ses généraux étaient à la hauteur. Mais une insidieuse maladie rongeait son cerveau. Ses furieuses colères étaient redoutées, son humeur inconstante mettait son entourage mal à l’aise.
   Cependant, dans la tribu des Juda, David et Samuel avaient gravi les échelons, les portiers du temple les avaient intronisés dans leur caste. Ils eurent accès à l’enclos sacré. Les chantres avaient remarqué le jeune David pour sa voix et son talent de joueur de harpe. Le prêtre prit Samuel à ses côtés pour l’initier au sacerdoce. Samuel venait de la caste des Lévites, c’était un grand honneur pour sa famille.
   C’est lors de la permission de rendre visite à sa tribu qu’un des fils d’Isaï changea le destin de David. Lors d’un entretien entre le prêtre et son père, le jeune guerrier fit un résumé alarmant sur le comportement du roi. La tribu des Juda avait fort influencé l’avènement de Saül. Aussi, il fut décidé d’envoyer le jeune David et sa harpe magique auprès du roi. Cet acte politique, s’il en est, devait rappeler au souverain ses devoirs vis-à-vis des Juda, mais aussi de toutes les tribus qui l’avaient élu à ce poste.
   L’enfant, à peine âgé de onze ans, fut introduit sous la tente où se passait le conseil de famille. Le prêtre l’informa de ses devoirs et lui remit autour du cou une chaîne où pendait une amulette, médaille d’or et d’argent. Sur l’une des faces, on pouvait voir trois roues enfermées dans un pentagone, mesure exacte de la grande étoile cabalistique nommée pentagramme à laquelle obéissaient tous les esprits. Dans la mandorle centrale, il y avait une tête, couronnée d’un nimbe, dont la barbe se divisait en trois pointes. Sur l’autre face étaient représentés deux triangles. L’un avait la pointe en haut et l’autre la pointe en bas ; plus tard, cet insigne portera le nom d’ « étoile de David ». Au centre de leur entrecroisement était inscrit un extrait du texte du Zohar (livre saint du judaïsme). Le triangle avec la pointe en haut symbolisait le ciel, là où se trouve le front de dieu, la base du triangle personnifiait les deux yeux de dieu. Le triangle inversé figurait son reflet dans l’eau. Le texte rappelait cette parabole : « C’est par le conflit des forces non équilibrées que la terre dévastée était une et informe lorsque le souffle de dieu se fit place dans le ciel et qu’il abaissa la masse des eaux. Toutes aspiration de la nature fut alors vers l’unité, la lumière se leva sur la vaste mer, elle céda des places, la terre devint fertile et l’homme s’y installa ».
   Cette amulette était d’une grande puissance, elle protègerait David de toutes sortes de malheurs.
   L’enfant fut conduit auprès du roi par son frère. Saül prit David à son service, et rapidement le charme du garçon opéra, sa harpe faisait des miracles, l’humeur du roi s’adoucit. David suivait partout le roi, même sur les champs de bataille. Les bienfaits du jeune virtuose sur la santé du monarque l’avaient propulsé au rang d’écuyer.
   C’est lors d’une bataille que l’avenir du jeune David se dessina réellement. L’armée Israélienne, commandée par le commandant Abner, faisait face à l’armée des Philistins. Comme à chaque rencontre, les insultes, quolibets, vacarme produits par les armes, fusaient de chaque camp afin d’attiser la hargne et la colère des hommes pour l’affrontement. Mais les troupes de chacun des camps étaient épuisées. Abner proposa de réduire les pertes et que chaque camp désigne son meilleur guerrier afin qu’ils s’affrontent dans un combat singulier, à mort. Celui qui resterait vivant donnerait la victoire à son camp. Le commandant des Philistins fit alors appeler un des membres de la tribu des Goliaths de Gath. Les Israéliens virent apparaitre une masse énorme à contre-jour. Un colosse de plus de deux mètres, tout en muscles, il devait peser autant qu’un bœuf, des bras, des jambes de la taille d’un gamin de 11 ans. Il portait une massue de combat dans une main et dans l’autre un bouclier énorme qui cachait le soleil à lui seul. A sa vue, Abner et ses hommes eurent un mouvement de recul. Qui pourrait se mesurer à ce monstre ?!!!
   David qui suivait, d’une colline proche, les évènements, sentit l’amulette qui pendait à son cou devenir lourde, comme si elle voulait lui faire comprendre quelque chose. Sur le site, le géant attendait son adversaire. C’est alors que, poussé par une force qui le dépassait, David choisit une pierre, arma sa fronde, ajusta et lança son projectile. Les secondes parurent des heures, comme si le temps s’était arrêté. La brise s’était tue. Les grillons ne chantaient plus. Les oiseaux ne piaillaient plus. Tout semblait figé. Puis le géant vacilla et s’écroula, touché à la tempe. Dans la stupeur qui régnait encore, l’enfant dévala la pente et courut vers sa cible. Il désarma un des hommes qui se tenaient debout dans les premiers rangs, avec l’épée il trancha la tête du colosse. C’est au moment où il promena son trophée, haut à bout de bras devant les hommes médusés, que chacun des camps réalisa ce qui venait de se produire.
   Les deux armées se débandèrent, David fut porté en triomphe. Il fut célébré par les conteurs pour sa bravoure, qui avait fait si peu de pertes en hommes.

Les combats de David

   Saül lui confia alors le commandement de plusieurs de ses troupes. Il alla même jusqu’ à donner la main de sa fille Michal, qui était fort éprise du jeune guerrier. Les hommes suivaient ce chef célèbre et soucieux de préserver leur vie. Il préparait minutieusement ses batailles, qui se concrétisaient par des faits d’armes où chaque combat était une victoire. De son côté, le Roi avait perdu de sa superbe, il entraînait ses hommes dans des batailles non calculées qui laissaient un grand nombre de morts. La renommée de David le faisait craindre par ses adversaires, ce qui attisa la jalousie de Saül. Ce dernier, accompagné par son fils Isboseth, fomenta un complot visant à discréditer David et ses hommes devenus trop populaires. Rien n’y fit. Le roi dut proscrire ce chef de guerre ainsi que ses hommes.
   Forts de leur renommée, David et son groupe de 600 hommes devinrent mercenaires. Ils se rendirent au sanctuaire de Nod ou le prêtre Achimélech les reçut amicalement. Le prêtre remit à David l’épée de Goliath qu’il gardait en dépôt. Par ce geste il reconnaissait à David sa légitimité auprès du peuple d’Israël, et rappelait son triomphe. Saül furieux fit assassiner tous les prêtres du sanctuaire. David et ses hommes se louèrent alors à Achis de Gath roi des Philistins, qui les installa près de Gaza dans la résidence de Siqelag. Ils remportèrent bon nombre de combats sous ses couleurs. Muni de l’épée de légende, David et ses hommes étaient craints sur les champs de bataille. C’est lors de la bataille de Gelboe, remportée par les Philistins, que Saül et son fils Jonathas (grand ami de David) trouvèrent la mort. Isboseth, autre fils de Saül, prit la place de son père. Mauvais tacticien, il tomba à son tour. Le peuple d’Israël se retrouvait sans roi.
   Mais David n’avait pas oublié l’arche. Fort de sa légitimité auprès d’Achis de Gath, et par ruse, il se fit passer pour fou et finit par s’en emparer.
   

  Quelque temps après …

   David et ses hommes se reposaient après une victoire quand, un soir, on vit une silhouette se faufiler dans le campement. Elle avançait nu-pieds, les petites clochettes de l’éphod, la robe que portaient les prêtres juifs, rythmaient ses pas. L’homme avait le visage dissimulé sous un manteau à lourde capuche. Il fut bientôt arrêté et conduit devant le commandant David. Sous la tente, au sol recouvert de tapis épais, brûlaient des candélabres qui diffusaient une lumière ocre. Les tentures, prises de guerre, donnaient une atmosphère feutrée. Des petites tables était disposées çà et là, recouvertes de plateaux ou trônaient coupes, aiguières d’or et victuailles. David était allongé sur de profonds coussins, entouré de quelques-uns de ses hommes. Des femmes se tenaient en retrait, prêtes à accéder au moindre des désirs de ces glorieux combattants.
   Quand le prêtre fut introduit, David et ses hommes le regardèrent avec curiosité. Puis l’homme fit glisser sa lourde capuche. Son visage apparut alors à la lumière dansante des braseros. David se redressa d’un coup, son cœur battait à tout rompre, là devant lui se tenait debout son ami d’enfance, celui qui partageait ses jeux, le sage Samuel.
   David se précipita pour serrer fort son ami contre sa poitrine. Depuis leur enfance, dans les collines de Bethléem, le temps avait fait son œuvre, chacun avait suivi la route qui lui était destinée.
   Samuel se dégagea doucement de l’étreinte de son ami. Tout en le tenant à bout de bras par les épaules, il fixait cet homme qu’il reconnaissait à peine. L’enfant mince, ébouriffé, et espiègle, vêtu de la kethôneth, habit des bergers, s’était transformé en un guerrier robuste et musclé. Son regard, où l’on pouvait lire toute l’affection qu’il portait à son ami, ne dissimulait pas les horreurs des guerres répétées et la froideur qu’elles avaient engendrée.
   David fit sortir tout le monde afin d’apprécier mieux ces retrouvailles. Samuel apportait un souffle de paix dans cette vie tumultueuse qu’était devenue celle de ce commandant de grande renommée. Les deux amis parlèrent longtemps de leurs souvenirs, puis vint le moment ou Samuel, redevenu le prêtre, dévoila les raisons de sa visite.
   Au matin, David fit réunir ses hommes. Il avait préparé un discours ou il expliquait que le peuple israélite les rappelait. Toute la lignée de Saül avait disparu. Le peuple était sans Roi. David, Samuel et un groupe d’hommes sûrs, devaient se rendre à Hébron au plus vite. Le gros de ses hommes les y rejoindrait avec le reste du camp.
   A leur arrivée à Hébron, David et Samuel furent accueillis par les prêtres. Ils passèrent de nombreuses heures en discussions. Le lendemain, ils se rendirent sous la grande tente qui servait de temple. Là, David reçut les saintes huiles, et devint le deuxième roi des israélites. Surtout reconnu par la tribu de Juda.
   Le berger était devenu Roi.

David roi d'Israêl

   Alors qu’il guerroyait comme mercenaire, nombre de ses hommes, moabites, syriens, ammonites, philistins, avaient suivi sa renommée et s’étaient ralliés à son étendard. Mais dès lors que David devenait roi des israélites, ils devinrent ses ennemis.
   Exhorté par les prêtres de sa religion, porté par la voix des oracles de sa foi, Le Roi David s’engagea à mener le combat pour conquérir des territoires et sédentariser son peuple. Il ferait construire un temple de pierre digne de Yahvé, son dieu et y installerait l’arche.
   Lors de sa vie de mercenaire, David avait été amené à voir les richesses des temples de Phénicie et d’Egypte. Là-bas, se dressaient de fabuleux temples à la gloire des Dieux et des Rois. L’or, le marbre, les fresques aux couleurs chatoyantes, les essences de bois précieux, les pierres de diverses couleurs, les sculptures gigantesques d’une facture si proche de la réalité, vous coupaient le souffle.
   David sut alors que s’il devait rendre hommage à Yahvé, ce serait pour faire construire un temple définitif et plus beau encore que tous ceux qu’il avait vus.
   Il devait d’abord trouver le lieu pour installer sa capitale. Il mit son dévolu sur la forteresse cananéenne de Sion-Jérusalem. Là, serait construit son palais et le temple dédié à Yahvé, un écrin pour déposer l’arche d’alliance et centraliser le culte.
   Quand il avait repris l’arche à Gath, il l’avait fait déposer au sanctuaire de Silo. Les années passant, avec les massacres répétés des hommes du culte, elle n’était plus gardée que par quelques prêtres, qui faisaient de leur mieux pour qu’elle reste dans l’anonymat afin d’éviter les convoitises. Quand il eut l’arche suprême, il lui fallut affronter d’autres combats. La tête de Saül, les tables de la loi, les armes du souverain déchu, il possédait à présent tout cela, mais le goût du fer restait au fond de sa gorge, et sa quête n’était qu’à l’aube de l’immense tâche qui lui était dévolue.

   La forteresse de Sion était aux mains des Jébuséens. On la disait imprenable. Située sur la colline d’Ophel, des canaux avaient été creusés pour alimenter la forteresse en eau. C’est par ce chemin que David et ses hommes réussirent l’exploit de prendre la place. Nuitamment, ils se glissèrent à travers l’un d’eux et investirent les lieux. Aucune résistance ne leur barra la route. Les Jébuséens, trop confiants en l’imprenabilité de leur fortin, se virent au matin soumis au roi David.
   Par cette victoire, installé et reconnu roi des Israélites élu par leur Dieu, David se met en devoir de se faire construire un palais et de faire préparer les plans du futur temple de Yahvé.
   Lors de sa vie de mercenaire, David avait rencontré le roi Phénicien, Hiram de Tyr. Ils avaient eu de bonnes et amicales relations. Ce peuple était réputé depuis la nuit des temps, pour ses dons de bâtisseurs. C’est ainsi que tout naturellement, le roi se tourna vers son ami pour l’édification de sa ville. Le peuple israélite, nomade depuis des temps reculés, était incompétent en ce domaine.
   L’accord fut conclu entre les deux monarques. Le roi Hiram envoya artisans et matériaux à Jérusalem. Selon les habitudes orientales, un roi était jugé sur les dimensions de son harem. Aussi commença-t-on par cet édifice, étendard de la puissance et de la richesse du roi.
   Depuis son onction à Hébron et lors de ses nombreuses prises de guerre, David avait plusieurs fois pris femme, jusqu’à dix-huit comme l’acceptait la loi juive, et des concubines afin d’asseoir ses alliances avec les souverains conquis. Depuis qu’il les avait installées à Jérusalem, elles lui donnaient régulièrement des enfants, garçons et filles. Il était temps d’installer tout ce petit monde confortablement. Pourtant David commit une faute que Yahvé aurait du mal à pardonner malgré sa miséricorde.
   Pendant la guerre contre les Ammonites, David était resté à Jérusalem pour suivre la progression de l’édification de sa ville. Alors qu’il se promenait dans la place, il croisa la très belle Betsabée. C’était la femme d’un de ses officiers, Urie le Hittite, qui était à la guerre. Fort de ses prérogatives, et malgré son rang et la loi qui le limitait à dix-huit femmes, David n’avait pas oublié ses moeurs du temps des combats. Aussi, amoureux fou, il commit l’adultère avec cette femme trop belle et trop désirable. Betsabée se retrouva enceinte après ces ébats. Quand son époux revint, il ne fut pas dupe et chercha l’auteur de la faute. David se résolut à envoyer l’époux encombrant en première ligne des combats que menait le général Joab, son neveu. Urie dut porter une lettre cachetée à Joab. Dans cette lettre David donnait l’ordre au général de mettre le porteur de la lettre dans l’endroit le plus dangereux des combats. Urie ne revint pas de cette guerre. Betsabée entra dans le harem de David en tant qu’épouse. Mais l’évènement ne passa pas inaperçu et bientôt les rumeurs envahirent la cour, et le scandale éclata. Le prophète Nathan vint alors trouver le roi. Précautionneusement, il présenta à David, sous forme de parabole, le sens que prenait son méfait dans l’esprit de ses sujets. David reconnut sa faute devant son dieu, et il fut pardonné. Mais sa faute ne resta pas sans châtiment. Bientôt le fils que lui avait donné Betsabée mourut. Puis de douloureux évènements endeuillèrent la famille royale. Le harem fut secoué par bon nombre de scandales : on s’entretuait, on violait les sœurs, les mères et les fils complotaient, c’était un total chaos. Ces conflits internes déstabilisaient l’Etat. Le roi devait être vigilant pour ne pas être détrôné par ses propres fils.
   David vieillissait, mais il n’en était pas moins solide et difficile à évincer.
   Au milieu de ce tumulte, il prit la décision de faire déposer l’arche d’alliance à Jérusalem. Même si le temple n’était pas construit, les regards des tribus d’Israël se porterait néanmoins déjà vers la nouvelle capitale cultuelle et royale. La tête du premier roi, Saül, avait été déposée, par les Philistins, avec les tables de la loi, dans l’arche suprême. Une autre arche contenait ses armes. Ainsi regroupé, l’ensemble prévaudrait à la puissance de David.
   On organisa une grande procession entre Silo et Jérusalem, dirigée par le prophète Nathan et le grand-prêtre Sadoq. David revêtit l’éphod de lin, la robe des prêtres ourlée de grelots. Il dansait de toutes ses forces devant l’arche. Une foule de femmes, d’enfants, de chefs de tribus, suivait religieusement. Des guerriers protégeaient le cortège. Ils mirent plus de trois jours pour rejoindre Jérusalem. On dressa une tente, temple à la façon nomade, pour installer l’arche suprême dans les murs de la forteresse de Sion-Jérusalem. Apres les cérémonies cultuelles, le roi donna plusieurs holocaustes où un nombre impressionnant d’agneaux, chèvres, vaches furent sacrifiés à la gloire de Yahvé. David pensait qu’ainsi Dieu lui pardonnerait tout à fait.
   Pourtant, Yahvé, quant à l’élévation de son temple, avait d’autres exigences. David ne verrait pas son vœu se réaliser de son vivant….
   Le prophète Nathan vint un soir, trouver le roi afin de l’informer que Dieu lui avait parlé. Le projet d’un temple définitif devait être retardé. Ce ne serait pas David qui établirait sa maison, le temps n’était pas encore mûr. Le rôle de David était, avant tout, d’établir une solide dynastie sur la nation d’Israël. L’édification d’un temple définitif, au vu des problèmes rencontrés dans la famille royale et le manque d’unité des diverses tribus, risquerait d’asseoir la puissance du monarque en occultant Dieu lui-même.
   David devait surtout remettre de l’ordre dans son entourage proche et unifier le plus possible toutes les tribus d’Israël.
   Le harem était source de conflits incessants. Il avait épousé Betsabée qui était devenue sa favorite. Elle lui avait donné un fils qu’ils avaient prénommé Salomon.
   Les dernières années de David eurent à souffrir de deux calamités envoyées par Yahvé : une lourde disette qui fut suivie de la peste. Ces fléaux furent révélés comme une punition que le Dieu envoyait à David, par l’intermédiaire d’un ange qui apparut au prophète Nathan sur l’aire d’Orna, au sommet d’une colline. Il rappela que l’unique devoir du roi était de servir son dieu et non ses propres ambitions.
   Sur le lieu où apparut le porte-parole de Dieu, on fit construire un autel. Plus tard, Salomon choisira cet endroit consacré pour construire le temple de Yahvé.
  

   David, mourant fut pressé par le prophète Nathan, par Sadoq le grand-prêtre, Bénaias et les gibborim, de désigner son successeur. Ils invitèrent le roi à désigner son fils cadet, Salomon, qu’ils avaient instruit et qu’ils considéraient comme le plus sage à régner, Adonias étant de plus en plus incontrôlable.
   Salomon fut introduit auprès de son père. Allongé sur sa couche, le roi était prêt pour son dernier voyage. Quant Salomon entra il fut pris à la gorge par les vapeurs lourdes et les fumées que diffusaient les brûle-parfums saturés d’encens et de myrrhe. Le prophète, le grand prêtre, Betsabée entouraient le lit du mourant. Braseros et lampes à huile dispensaient une lumière tamisée qui se voulait apaisante et apportait au visage émacié du roi une couleur parcheminée. Il fit asseoir son fils près de sa couche. Avec un visible effort, et afin que l’ensemble des gens qui se trouvaient dans la pièce puisse l’entendre, le roi, qui dans sa main décharnée tenait serré son bouclier, insigne de sa légitimité, le transmit a son fils et lui dit :
- Par ce don, je te proclame mon successeur. Tu es le nouveau roi d’Israël, sois en digne.
   La voix du souverain se fit plus faible et Salomon dut se pencher pour écouter les recommandations de son père. Il lui demanda de suivre les commandements de Dieu, d’être bienveillant et juste envers son peuple, puis bien d’autres choses encore que nul autre n’entendit que le père et le fils. Enfin, le vieux roi fit un signe de la main, et un serviteur vint déposer devant Salomon les rouleaux des plans du temple qu’il érigerait à la gloire de Yahvé, car lui David, n’avait pas été digne de le faire.
   David s’éteignit après quarante ans de règne. Il avait réussi là ou Saül avait échoué. Par son courage, son esprit d’initiative, sa clairvoyance et sa sagesse politique, et même s’il n’avait pas fait l’unanimité auprès de toutes les tribus, il fut le vrai fondateur de la monarchie d’Israël. Sa sève accumulée dans les rameaux de la monarchie, produisit cette belle fleur que fut Salomon.

 

 

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