MARC  LABOURET

Une éthique de l'esprit

       Il peut sembler horriblement prétentieux d'écrire, après tant d'autres, une théorie du symbolisme. Non que je prétende en savoir plus que d'autres, mais il me semble utile de suggérer quelques pistes simples pour s'y retrouver. Une grille de lecture est nécessaire, qui permette de comprendre les nombreux ouvrages sur le sujet, si contradictoires, si incohérents intellectuellement et moralement, si propres à compliquer la tâche au lieu de la simplifier. Une recherche de cohérence s’impose au franc-maçon désemparé. Cohérence entre symbolisme et rationalité, entre apprentissage et maîtrise, entre laïcité et spiritualité, entre maçons et maçonnes de pratiques différentes qui tous partagent un langage symbolique commun au sein d'obédiences qui semblent tout faire pour se distinguer, voire se séparer. Rechercher le centre de l'union.

       De plus, je me permets ailleurs de critiquer fondamentalement la théorie guénonienne, qui sert encore de base à tant de maçons respectés. Il est nécessaire de rappeler qu'il existe une théorie de la symbolique et une pratique du symbolisme alternatives. Celles-ci ne sont pas nouvelles ni originales, mais sont rarement exprimées, encore moins publiées en un ensemble complet et cohérent - ou qui se veut tel.

       Cela passe par quelque exigence intellectuelle et morale, par la méfiance à l’égard des faux prophètes et des vrais charlatans, par la mise en évidence de la fonction critique du symbolisme. C’est l’expression d’une ambition confiante dans la modernité et l’efficacité de la démarche maçonnique.

ethiquerduit

 

 

 

 

 

 

Une éthique de l'esprit - douze
 propositions aux loges maçonniques
sur
 le symbolisme,
par Marc Labouret.
Prix public 17 €
Editions Les pas perdus
1 place de la République
89300 JOIGNY
contact@marc-labouret.fr 

QUELQUES EXTRAITS :

Le symbolisme est simple et simplificateur.

       Le symbolisme (…) est simple à pratiquer. Un symbole a le plus souvent pour but de rendre évidente une notion abstraite. De la rendre présente, la proposer ou l’imposer sans rendre nécessaire une réflexion préalable, ni même une expression verbale. Il est donc essentiellement simplificateur. On pourrait même le juger parfois caricatural. C’est un raccourci commode. Si un symbole n’est pas évident, il ne fonctionne pas. Pour être signifiant, il ne doit solliciter aucune opération intellectuelle de réflexion ni de déduction. Comme la langue maternelle, qui se parle avant tout apprentissage de la lecture ou de l’écriture, sans recours conscient à une orthographe ni à une grammaire. C’est vrai, très certainement, dans toute civilisation. Le symbolisme est une opération inconsciente, spontanée, permanente. Quand donc un symbole, perdant son évidence et sa simplicité, ne fonctionne pas, ou mal, il reste un signe peu compréhensible, mot d’une langue étrangère ou d’une langue morte. De nombreux symboles fossiles encombrent notre monde. Ils peuvent fausser la vision du symbolisme, puisqu’ils peuvent sembler la règle, et non pas l’exception : les symboles vivants ne se remarquent pas.

Il n’y a pas de symbolique maçonnique originelle.

       Les symboles ont une histoire avant d’avoir été adoptés par les francs-maçons. Mais, on est en droit de le regretter, peu d’entre eux sont vraiment anciens. Aucun n’a été transmis par une chaîne séculaire, voire millénaire, de détenteurs de savoirs secrets. Aucun ne provient, ni d’une tradition primordiale, ni d’une révélation supra-humaine. Très peu sont uniquement maçonniques, bien au contraire : ils appartiennent le plus souvent à un langage largement compris de tous les contemporains. Issus de champs différents, il n’est pas légitime de les réduire à l’un d’entre eux : le symbolisme maçonnique n’est pas seulement celui des bâtisseurs, pas non plus uniquement biblique, pas davantage essentiellement solaire. Il est tout cela à la fois, il prend un peu à chaque domaine. Sa spécificité et son génie propre naissent de la combinaison des éléments sélectionnés. Leur agencement inattendu constitue une symbolique originale, dès lors réservée aux initiés. Celle-ci, l’histoire le confirme, reste simple, claire, presque naïve. Car l’économie est la condition bien comprise de l’efficacité de l’initiation. Ces symboles peuvent provenir des chantiers, des églises, des astres ou de la chevalerie, ils peuvent être cueillis dans la science de leur temps, dans une antiquité imaginaire ou dans les recueils d’emblèmes. Dans leur choix comme dans leur juxtaposition, leur signification est intellectuelle et morale. Ils composent un ensemble cohérent, dédié au travail sur soi-même et dans le monde environnant, fondé sur des valeurs partagées de connaissance, de raison, de sociabilité, qui sont celles de tout humanisme à travers les siècles.

Le regard symboliste sur le monde permet une connaissance plus complète.

       [L'analogie] n’est pas tout à fait la méthode scientifique, puisqu’elle n’est pas déductive ni expérimentale. Elle participe de la recherche, pas de l’affirmation d’un savoir – fût-il provisoire et falsifiable. C’est en cela que l’analogie fonctionne pour la recherche scientifique, c’est en cela que le symbolisme ressemble à la science : il est questionnement. Le travail maçonnique est une recherche continue, qui n’aboutit qu’à des étapes faites pour être dépassées. Cela peut être considéré comme une fonction « seconde » du symbolisme : pousser le franc-maçon à chercher encore et toujours. D’un certain point de vue, le travail, le chemin, sont en eux-mêmes le but. L’arrivée, improbable, n’a de sens que celui d’une étoile qui donne le cap. La présence des symboles devant le maçon ou la maçonne le pousse en permanence à ne pas être prisonnier des apparences. Décidément, le franc-maçon n’est pas toujours apprenti : il cesse de l’être en sachant que son chemin n’a pas de fin. Un rituel évoque l’ascèse intérieure : celle-ci réside dans l’inconfort définitif d’être franc-maçon. Il ne s’agit pas, même si c’est très facile, de reprocher à ses frères et sœurs de n’être pas de parfaits maçons. Qui peut l’être ? Il s’agit d’être conscient de ses propres limites, intellectuelles et affectives. Il est probablement de la nature de la Franc-maçonnerie d’être un pays où l’on n’arrive jamais, une utopie. L’écoute en est à la fois un moyen et une fin, la tolérance en est une conclusion évidente. On y voit souvent les traits distinctifs de la « sagesse » maçonnique, traits auxquels parfois les maçons se reconnaissent entre eux dans des cadres profanes.

Le symbolisme a une fonction critique.

       Par ce décalage, ce pas de côté au delà des apparences, ce choix de l’incertitude définitive, le symbolisme enseigne à ne pas être dupe. Ceux qui recherchent la lumière y trouvent une école de lucidité. Le symbolisme bien compris n’est pas crédule, il est lucide, et par suite critique. Comme l’apprentissage de langues étrangères nous éclaire sur les spécificités de la nôtre, la pratique consciente d’un symbolisme particulier nous aide à identifier ce qu’il y a de symbolique dans notre société, et d’être moins dupe des discours qui y courent, qu’ils soient religieux, politique, publicitaire… Il permet de déceler les vrais contenus des images, voire les images qui ne sont que des images, sans contenu réel, et qui ne servent qu’à illustrer des préjugés, des superstitions, des idéologies, des charlatanismes et parfois des impostures. C’est vrai jusque dans nos lectures, devant un film ou une émission télévisée. S’il y a des maçons et maçonnes crédules - et il y en a - ce n’est pas à cause du symbolisme, mais par insuffisance de formation symbolique. La fonction critique essentielle de la méthode symbolique mène au scepticisme raisonné, qui est un des buts traditionnellement affirmés par la Franc-maçonnerie : la lutte libératrice contre l’ignorance, le fanatisme et la superstition. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire en profane, cette lutte n’est pas seulement une exigence rationaliste, elle est aussi une conséquence logique inhérente au symbolisme, et c’est en quoi elle est maçonnique.

L’humanisme est une spiritualité.

       Ainsi, entre les spiritualités individuelles et les spiritualités collectives, entre les croyants dogmatiques et les laïques adogmatiques, la Loge maçonnique s’avère le lieu d’une rencontre originale, qui ne me semble guère exister en dehors d’elle, l’espace possible mais non obligé d’une spiritualité à la fois laïque et collective, dans et par ce culte de la fraternité qui est une constante historique de toutes les obédiences. Une telle spiritualité maçonnique puise à la source, originale, du symbolisme. Celui-ci la permet parce qu’il unifie la vie de l’esprit et du cœur, rassemble ce qui était épars : nos incohérences psychiques, intellectuelles et morales. Il est pour chacun le centre de l’union. Cette spiritualité, absolument laïque, renoue avec les religions du social : les antiques religions de la cité, les formes élémentaires de la vie religieuse selon Durkheim, qui créent à la fois le groupe et la religion, et ce qu’il appelle le « divin social », ce social qui trouve en lui-même sa propre signification. Elle est à l’évidence propre à guider l’action dans et sur le monde. Elle unifie aussi pleinement les différentes faces de la Franc-maçonnerie : le versant ésotérique et symbolique, le versant moral et politique, et le lien entre eux de l’amour fraternel. Peut-être est-ce la vocation historique de la Franc-maçonnerie française que de réconcilier rationalisme et symbolisme, pour permettre l’approche laïque d’une spiritualité immanente, ouverte sur le progrès de l’homme et de la société. Dans la fidélité à notre histoire à la fois spirituelle et rationaliste, je propose de définir ainsi notre ambition séculaire : tenter de construire consciemment un sacré de l’humain, un rituel au service de l’homme intérieur, une mystique de l’humain compris à la fois comme universel et individu.

 

Imprimer E-mail